En ce mythique été 1968, gagnant d'un concours de l'Office national du film (ONF) pour jeunes cégépiens québécois, j'arrivais de mon Saguenay natal à Montréal pour travailler avec le cinéaste Claude Jutra sur son film Wow.

Je venais tout juste d'avoir 18 ans, comme le dit la chanson, et le temps qui a fait son oeuvre depuis sur moi, comme sur les autres de ma génération, m'autorise maintenant à rappeler que j'étais alors un jeune garçon séduisant et que je le savais.

La Presse de samedi nous annonce à la une (« Jutra et les garçons »), dans le contexte de la promotion d'un livre dont on ne peut pas encore prendre connaissance (il paraît aujourd'hui), que Claude Jutra n'aurait été rien de moins qu'un « pédophile ».

Je laisse le soin à d'autres d'expliquer la différence entre un pédéraste attiré par des adolescents et un pédophile qui s'attaque à des enfants.

Mais étant donné que le livre prétend que Claude Jutra établissait parfois le contact avec les adolescents supposément objets de ses désirs durant ses tournages, je me sens obligé de rappeler ce qui suit, à la défense de sa mémoire.

Pendant trois mois, alors que je le côtoyais constamment sur les lieux de tournage de Wow, souvent seul avec lui à son appartement, ou le soir dans les petites salles de montages de l'ONF, jamais, je dis bien jamais, Claude Jutra n'eut le moindre geste déplacé à mon égard, voire de propos un tant soit peu ambigus.

Je rappelle que je venais tout juste d'avoir 18 ans et que j'étais de toute évidence porteur de séduction pour quelqu'un comme lui. Ce n'est que plus tard que j'ai compris qu'il m'aimait beaucoup et que j'ai regretté qu'il ne se soit pas manifesté d'une façon ou d'une autre.

Le climat malsain de chasse aux sorcières qui s'installe de plus en plus dans nos sociétés en ce qui a trait au sexe permet aux chacals de sortir de l'ombre pour salir la réputation de quelqu'un qui est mort il y a 30 ans et qui ne peut plus se défendre.