Quand Denis Coderre et les maires de la région montréalaise ont dit non à l'oléoduc Énergie Est, on aurait pu croire que ce refus signerait l'arrêt de mort de ce projet. Mais curieusement, leur prise de position musclée semble avoir eu l'effet contraire. Trop, c'est comme pas assez. L'excès de la réaction a déclenché un débat qui, paradoxalement, semble avoir donné un nouveau souffle au projet.

Quand Denis Coderre et les maires de la région montréalaise ont dit non à l'oléoduc Énergie Est, on aurait pu croire que ce refus signerait l'arrêt de mort de ce projet. Mais curieusement, leur prise de position musclée semble avoir eu l'effet contraire. Trop, c'est comme pas assez. L'excès de la réaction a déclenché un débat qui, paradoxalement, semble avoir donné un nouveau souffle au projet.

Toute l'attention a été retenue par le vent d'indignation dans l'Ouest provoqué par le refus des maires et l'indignation provoquée au Québec par cette indignation. Appelons cela du ping-pong canadien. Mais pendant qu'on s'adonnait d'un océan à l'autre à ce petit jeu un peu futile, toutes sortes de choses se sont passées - un mandat élargi pour l'examen par l'Office national de l'énergie, une plus grande clarté du gouvernement Trudeau, un changement d'attitude du promoteur, TransCanada.

Tout cela permet l'amorce d'un débat qui n'avait jamais eu lieu et qui porte essentiellement sur les liens complexes et difficiles entre l'économie et l'environnement. En toute logique, la construction de cet oléoduc n'aurait pas dû susciter des résistances aussi fortes. Pourquoi alors ce refus ? Je vais d'abord regarder les arguments solides qui militent pour un tel projet et ensuite les arguments solides qui peuvent expliquer son refus.

Premièrement, le fait que le Canada - à plusieurs égards, une économie de ressources naturelles - ne puisse pas pleinement profiter de la richesse que permet le pétrole parce que les provinces productrices, enclavées au coeur du continent, ne peuvent pas acheminer le pétrole vers les marchés est une aberration.

Deuxièmement, le fait que des maires puissent bloquer un projet national de ce genre, à moins d'un cas de force majeure, constitue aussi une anomalie. Cela nous replonge dans un univers médiéval où un pays devient une juxtaposition de fiefs, de baronnies et de duchés, qui défendent chacun leurs intérêts très immédiats. L'idée d'imposer des redevances salées pour laisser passer le tuyau, la version moderne des droits de passage du Moyen-Âge, s'inscrit dans la même logique.

Troisièmement, le passage d'un oléoduc, d'une ligne de transmission d'électricité ou d'un chemin de fer constitue presque toujours un inconvénient pour les territoires touchés. On trouvera rarement des avantages immédiats. Dire non à un oléoduc parce qu'il ne crée pas assez d'emplois chez nous constitue donc une réaction assez primaire. L'oléoduc, en faisant sortir le pétrole albertain de l'Alberta, permet d'obtenir le prix mondial pour ce pétrole, ce qui soutient la croissance économique, améliore la balance des paiements, stabilise le dollar. Il permettrait en outre au Québec de ne plus dépendre du pétrole étranger. Ce sont des avantages de nature macroéconomique.

Quatrièmement, les oléoducs constituent un mode de transport du pétrole très sécuritaire, beaucoup plus que les trains ou les bateaux. Les risques existent, mais ils sont extrêmement faibles. Il faut qu'ils le soient encore plus. Mais on a inutilement fait peur au monde. Par exemple, on a fait grand cas de l'étude de Polytechnique commandée par Québec qui identifie des risques lorsque l'oléoduc traverse une rivière où il peut y avoir des glissements de terrain, sans dire que cette même étude expliquait quoi faire pour régler le problème.

Pourquoi ça bloque, alors ? Pas d'acceptabilité sociale, dit-on. Mais à mon avis, ce problème d'acceptabilité ne porte pas sur le tuyau lui-même, mais ce qu'il y a dedans. Si ce n'était pas du pétrole albertain issu des sables bitumineux, il n'y aurait pas de problème.

La résistance tient d'abord à un refus des Québécois de participer contre leur gré au commerce de ce pétrole dont l'empreinte carbonique est plus élevée.

Ce malaise réel soulève deux questions. La première, plus générale, consiste à se demander comment un pays peut à la fois produire et exporter du pétrole tout en participant à une réduction massive des émissions de GES qui dépend d'une utilisation moindre des hydrocarbures. En principe, les deux peuvent se concilier parce qu'on en a encore pour un bon bout de temps à devoir utiliser le pétrole. Mais il faut formaliser la démarche pour que la production et l'exportation d'hydrocarbures soient compatibles avec les cibles d'émissions de GES.

La seconde question porte sur le problème particulier des sables bitumineux. Le gouvernement Harper et les gouvernements albertains ont fait comme si ce problème n'existait pas. Au lieu de multiplier les efforts pour réduire l'empreinte de cette production, de développer des politiques pour en assumer le coût, par exemple en mettant un prix sur le carbone, Ottawa et l'Alberta, pendant des années, ont envoyé paître tous ceux que cela préoccupait, y compris les Américains dans le dossier Keystone, en se disant que la logique de la croissance économique balaierait les résistances. Parler de GES, c'était détruire les emplois. Une arrogance que l'on retrouve dans des entreprises d'oléoducs comme TransCanada. On paie maintenant le prix de cette stratégie désastreuse.

Dans ce dossier, le premier ministre Trudeau était resté jusqu'ici assis sur la clôture. Mais lors de la rencontre éditoriale avec La Presse, la semaine dernière, il appuyait sans détour le principe de l'importance d'un oléoduc : « une responsabilité fondamentale de n'importe quel premier ministre canadien, c'est de permettre à nos ressources de se rendre vers les marchés. »

Il faut donc repartir à zéro. L'oléoduc sera acceptable si la production pétrolière de l'Ouest est acceptable et si elle s'harmonise avec une stratégie environnementale. Après, il sera plus facile de répondre aux problèmes très réels que pose le passage d'un oléoduc qui, dans les faits, se négocie kilomètre par kilomètre, village par village, rivière par rivière.