On dit que ça prend un village pour élever un enfant. Il faut donc être prudent en ce qui concerne les sources auxquelles on attribue les déboires de plusieurs jeunes filles ces temps-ci. Mais la question se pose, comme l'a d'ailleurs fait le père de l'une d'entre elles lors d'une entrevue : qu'est-ce qui les pousse à croire à ces paradis qu'on leur fait miroiter ?

On entend aussi qu'elles sont amenées à se voir comme des princesses à qui tout sera offert sur un plateau. Tout ça ressemble beaucoup aux contes de fée dédiés aux fillettes de 5 ou 6 ans. Le rêve perdure encore pour ces filles qui sont prêtes à s'abaisser et faire les pires saloperies pour l'atteindre. Elles n'ont pourtant jamais entendu dire que Blanche Neige vivait cette situation, mais, bien sûr, Cendrillon en a bavé avant que le prince charmant ne vienne la rescaper...

Tout se mobilise en ce moment autour de la sécurité, de la prévention sociale, de l'encadrement, et c'est très bien. J'aimerais malgré tout que l'on poursuive la réflexion à partir de la jeune fille elle-même. Comment en vient-elle à gober n'importe quel boniment qui lui reflète une image d'elle plus heureuse, plus séduisante, plus populaire, voire plus indépendante, dans un futur très rapproché ? À quoi peut-on attribuer une telle naïveté, en dehors de son jeune âge ?

Peut-être est-il plutôt question d'une obligation d'atteindre le succès, à n'importe quel prix ; cette réussite qui ressemble au bonheur ?

La vision magique de soi devient une réussite instantanée, facile d'accès, offerte sur un plateau par des jeunes hommes qui possèdent l'art de faire vibrer la corde sensible branchée aux hormones de l'adolescence. Cette offre est la porte de sortie, voire même la sortie de secours, qui permet de fuir une vie qui paraît terne aux yeux des jeunes filles qui voient partout sur le web, au cinéma et à la télé des femmes qui semblent tout avoir : la beauté, la richesse, le succès, l'amour.

PRESCRIPTION SOCIALE

Or, ce succès nous est commandé à tous, comme une sorte de prescription sociale, depuis des lustres. Ceux qui ne parviennent pas à l'excellence et au bonheur sans mélange ne valent pas la peine qu'on les regarde. C'est la vision noir et blanc de ces jeunes qui sont prêts à tout pour échapper à l'ordinaire. 

Un ordinaire qui peut nous sembler pas si mal quand on voit leurs parents s'inquiéter d'eux au journal télévisé. La mère de la première jeune disparue a même dit que sa fille avait toujours eu tout ce qu'elle voulait. Ce qu'elle voulait, c'était expérimenter la misère, a-t-on lu par la suite. Sans doute pour finir par s'en sortir avec les grands honneurs, comme dans un conte... Mais je m'avance en terrain inconnu. Je ne sais rien de cette fille. Comme toutes ces jeunes filles ne savent rien de ce qui les attend une fois qu'elles auront été poussées loin de chez elles. Pourquoi s'abandonnent-elles au bon vouloir de séduisants « bad boys » ? Ça reste à découvrir, mais je pense que la quête du bonheur y est pour quelque chose.

On dit parfois d'une personne qu'elle est née pour le bonheur. Quelle chose étrange à dire. Autant que des parents qui disent à leurs enfants que tout ce qui compte, c'est qu'ils soient heureux. On ne naît pas pour être heureux. On naît pour sentir, découvrir, toucher, apprendre, marcher, créer. Et en passant, on s'attache, on attend, on se trompe, on a peur, on souffre, on se bat, à armes très inégales. Dans tout ça, il y a du plaisir, du travail, quelques extases, et des passages à vide. Du bonheur, je ne sais pas. Du contentement dans l'équilibre de toutes ces facettes de la vie, je crois, oui. C'est à cette forme de réalité que les enfants devraient s'attendre. Pas au nirvana sans heurt et sans danger.