En octobre 2014, La Presse publiait pour la première fois un de mes textes, dans lequel était relatée toute la peine que je ressentais devant la mort imminente de ma grand-mère.

Près d'un an et demi plus tard, mon propos est tout aussi actuel. Près d'un an et demi plus tard, ma grand-mère est toujours vivante. Mais elle ne va pas mieux. Et elle n'ira jamais mieux.

Après des mois passés dans un lit à l'hôpital, c'est maintenant dans un CHSLD de Saint-Jérôme qu'elle demeure allongée jour et nuit. L'environnement a changé, mais son état, lui, demeure le même. Dans plusieurs circonstances, un « état stable » est accueilli comme une bonne nouvelle puisqu'il porte avec lui une certaine notion d'espoir. Dans son cas, ou plutôt dans « notre » cas, c'est le mot qu'on n'en peut plus d'entendre. Non pas parce qu'on est égoïstes et qu'on est juste « tannés » de s'occuper d'elle, mais plutôt le contraire. C'est justement parce qu'on l'aime tant qu'on n'en peut plus.

Souffre-t-elle ? Physiquement, c'est difficile à dire. De façon générale, probablement pas. Mais au-delà des maux de corps, il y a ceux de l'esprit. Ceux qui ne s'apaisent pas à coup de pilules ou de chirurgie. Ceux qui flagellent de l'intérieur sans laisser de trace apparente à l'oeil nu. Et encore. Nous, on la voit, sa souffrance. On la ressent, on la subit, on y assiste. Comme ma grand-mère. Seule dans son lit, 24 heures par jour, sept jours sur sept. Depuis 18 mois. Ça, c'est 72 semaines. C'est long, respirer sans bouger pendant 504 jours et 504 nuits. Survivre sans vitalité. Manger sans plaisir. Dormir sans sommeil. Parler sans réelle conversation. C'est long, mais c'est aussi souffrant. Pour elle, et pour nous.

Et quand je dis « nous », je parle surtout de ma mère, qui en prend soin et veille sur elle depuis le début. C'est elle qui a vidé son appartement et qui gère ses affaires, qui se rend à son chevet pour la faire manger encore plusieurs fois par semaine. C'est ma mère aussi qui est près d'elle, qui lui parle, qui lui répète les mêmes choses, qui répond souvent aux mêmes questions. Et, entre plusieurs moments de « stabilité », elle assiste parfois à quelques minutes de regain d'esprit ou d'énergie, aussi éphémères que tristes, puisqu'ils n'augurent pas un rétablissement magique. Pas à 95 ans.

Au cours des 18 derniers mois, nous en avons vécu, en tant que famille, des émotions. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai été convaincue qu'il ne lui restait plus que quelques jours à vivre et à souffrir.

Malgré les quelques infections, les difficultés alimentaires, la haute pression, malgré tout ce qui vient vers elle, la fin ne vient pas. Elle s'est montré le bout du nez plus d'une fois, mais est toujours repartie furtivement. La fin ne vient pas. Elle ne fait que répéter, petit peu par petit peu, pendant qu'on assiste tous à cette interminable danse qui n'en finit plus.

Ma grand-mère est épuisée. Ma grand-mère est partie il y a de ça déjà plusieurs mois. Mais quelqu'un, quelque chose, quelque part, la retient toujours ici. Et pendant qu'elle continue de s'effriter peu à peu, et malgré tout l'amour que j'ai pour cette femme redoutable, une partie de moi a l'impression que la force dont elle a si brillamment fait preuve durant toute sa vie est en train de lui coûter la mort paisible qu'elle aurait tant méritée.