Peu après l'élection de Justin Trudeau, le sénateur Larry Campbell de la Colombie-Britannique estimait que le nouveau premier ministre devrait attendre de 12 à 18 mois avant de légaliser le cannabis. Selon le sénateur, une approche « en douceur » permettrait de bien appliquer les changements et donnerait le temps d'établir une bonne communication entre les trois ordres de gouvernements. Paroles de sagesse.

Comme nombre de mes collègues, je suis résolument pour la légalisation. Devant les formidables obstacles qui se dresseront devant lui, je crains cependant que le gouvernement Trudeau ne revienne sur sa parole et ne nous impose le tiède compromis de la décriminalisation. En clair : la possession d'une faible quantité de cannabis (vraisemblablement 30 grammes ou moins) n'entraîne pas de poursuites criminelles, mais expose à une simple amende. Chose certaine, il apparaît inconcevable qu'on n'adopte pas au minimum cette forme de « prohibition légère » au pays pendant le mandat de Justin Trudeau qui compte, à cet égard, sur un appui clair de 66 % des Canadiens, appui grandissant d'ailleurs inexorablement.

La tendance à l'assouplissement des règles en matière de cannabis est mondiale. De plus en plus de pays européens en décriminalisent la possession de quantités variables, tout comme l'ont fait à ce jour seize États américains, cela sans compter les quatre autres où on l'a légalisé purement et simplement. Au moins quatre autres États s'apprêteraient à emboîter le pas.

Bien conscient de l'imminence des réformes qui modifieront à coup sûr les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS), le ministère de la Justice en Colombie-Britannique aurait émis une directive aux substituts du procureur général, les incitant à « adoucir » leur position au moment d'autoriser des poursuites pour possession simple de faibles quantités de cannabis. Interrogée à l'émission Les coulisses du pouvoir quant à la position de notre ministère de la Justice sur le sujet, la ministre Stéphanie Vallée s'est à nouveau livrée à une séance de patinage artistique, cette discipline qu'elle maîtrise visiblement à la perfection.

Pour justifier que rien ne changera au Québec et que des jeunes arrêtés avec 4 ou 5 grammes de pot finiront encore avec des casiers judiciaires, elle a étrangement invoqué l'incertitude régnant quant au THC qui sera toléré dans une éventuelle politique de légalisation. Cela n'a aucun rapport. Que ce soit à l'étape de l'arrestation, ou bien au moment où le DPCP juge de l'opportunité d'autoriser une poursuite ou au stade du prononcé de la sentence, la teneur en THC n'est même pas considérée. Pourvu que le processus judiciaire soit concerné, que la concentration de THC soit de 6 %, 12 % ou 17 % n'a aucun impact.

La ministre Vallée avance également qu'il faudra sans doute consulter ou commander des études sur la nocivité du cannabis avant d'aller de l'avant, etc... De nouvelles études ? Vraiment ? Il y a suffisamment d'études approfondies sur le sujet pour remplir du plancher au plafond le Salon bleu du parlement. Citons pour référence ce court extrait du très étoffé Rapport du comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, comité présidé par le regretté sénateur Nolin et rendu public en 2002 : « [...] le Comité conclut que l'état des connaissances permet de penser que, pour la vaste majorité des usagers récréatifs, la consommation de cannabis ne présente pas des conséquences néfastes sur leur santé physique, psychologique ou sociale à court ou à long terme. »

Il y a longtemps que, dans ses grandes lignes, la question de la nocivité du cannabis est réglée : à part une faible minorité d'usagers excessifs, les consommateurs occasionnels n'encourent aucun risque pour leur santé. Si ça se trouve, une foule d'études indiquent plutôt que l'usage modéré est bénéfique.

Quoi qu'il en soit, plus personne ne peut dire sérieusement que l'alcool et le tabac sont moins nocifs que le cannabis.

Loin de desservir ceux qui sont pour une légalisation, l'argument autour de la nocivité du produit ne fait que nous rappeler que l'usage des drogues est un problème de santé publique. On doit impérativement revoir toute notre mentalité et sortir le cannabis de la sphère criminelle pour le replacer là où il se doit, soit la sphère de la santé publique. L'exercice s'impose, et vite.

Et une fois que cet exercice sera fait au gouvernement, éviter de sabrer dans les chèques des plus poqués de notre société et augmenter les subventions aux organismes d'aide aux toxicomanes pourrait être une bonne idée.