On peut aujourd'hui traverser son secondaire sans lire un seul livre.

Invraisemblable, pensez-vous ? Ce n'est pourtant pas une surprise ; ce fut le cas de quelques-uns de mes amis. Le problème, en fait, n'était pas qu'il n'y eût aucun livre au programme, mais plutôt qu'on pouvait facilement réussir nos cours sans les lire. Il paraissait plus important, en vérité, qu'on sorte de l'école avec un français « convenable » et quelques aptitudes de lecture, qu'avec un esprit capable de réfléchir à partir d'un livre.

Encore là, ce n'est pas surprenant : plus ça va, plus l'école vise davantage à produire une force technique de travail pour répondre aux besoins du marché qu'à prodiguer un enseignement de fond. Ce n'est pas moi qui vous l'apprends ; et ça touche tous les niveaux du parcours scolaire.

Reste que devant ce constat, il m'arrive de me considérer comme étant bien chanceux. Si mon père ne m'avait pas vanté durant toute mon enfance les exploits d'un d'Artagnan ou d'un Dantès, si je n'avais pas eu Andersen et Saint-Exupéry pour me tenir compagnie avant le sommeil, allez savoir où j'aurais appris à aimer la lecture. À l'école ?

J'y vais fort ; plusieurs de mes professeurs m'ont enseigné de façon remarquable tout au long de mon adolescence. Le problème, en fait, ne venait pas d'eux, mais plutôt du modèle auquel ils devaient (et doivent encore) se conformer. Ça part de très loin, tout ça, et, malheureusement, on ne fait pas diminuer un taux d'analphabétisme en enlevant des services pour ceux qui ont des troubles d'apprentissage ou qui manquent de stimulation à la maison.

En creusant ainsi l'impasse à sa source, ne vous demandez pas pourquoi on pense encore qu'un jeune de seize ans n'a pas ce qu'il faut pour comprendre Camus ou Dostoïevski. Question de ne pas trop le brusquer, on préfère lui proposer de lire une galette d'une centaine de pages de son choix, question qu'il lise un peu - chose qu'il fait parfois à moitié et à contrecoeur. L'école terminée, il n'ouvrira plus un livre pour des années à venir.

En réalité, il est là le problème :  l'analphabétisme moderne nous vient plus d'une indifférence devant la lecture et les réflexions qu'elle suscite que d'un mauvais enseignement de la langue.

Un moyen de remédier à cela est de faire naître l'intérêt chez nos jeunes. Ça implique qu'il faut leur faire découvrir des choses et de ne pas avoir peur de leur en demander un peu plus - et ici, je ne parle pas de leur faire la dictée, mais bien de leur enseigner la littérature dans son essence.

Ce que je veux dire par là, c'est que nous avons beau demander aux étudiants d'écrire des mots pour écrire des mots, nous n'arriverons pas à grand-chose si nous ne donnons pas sens à leur apprentissage. La littératie ne représente pas que l'aptitude fonctionnelle ou technique de savoir lire et écrire. Elle est avant tout l'un des premiers outils nécessaires à la compréhension du monde et à l'assimilation du savoir. Tenant compte de cela, le meilleur chemin pour renforcer notre littératie collective ne serait-il pas d'enseigner davantage la littérature au secondaire ?

Dans une société de plus en plus axée sur le rendement et la technique, on a l'impression que l'éducation perd un peu de vue son rôle de transmission d'un savoir fondamental. Sans faire de procès politique, il me semble donc important de rappeler qu'on n'investit pas en éducation comme on investit en Bourse. L'éducation ne vise pas à générer un retour sur le capital, mais bien à construire l'avenir.