L'entrée de la Francophonie dans l'ère économique est-elle une « utopie ou une réalité » ? C'est la question à laquelle devront répondre les participants à la table ronde organisée à Montréal par le CERIUM ce vendredi.

On serait bien en peine de définir clairement cette « francophonie économique », qui n'est pour l'instant qu'une conviction, pas encore un engagement, encore moins une réalité tangible. Elle n'est pour autant ni une idée prématurée ni une nouvelle utopie mondialiste.

Cette ambition est-elle toutefois à la mesure des moyens mesurés et de la capacité d'influence politique de la Francophonie ?

À ceux qui se demandent encore « la Francophonie, combien de divisions ? », rappelons quelques chiffres. En 2010, les pays membres de l'espace francophone comptaient pour 14 % du revenu national brut mondial, 14 % des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques, 14 % de la population mondiale, 20 % des échanges mondiaux de marchandises et 11 % des échanges mondiaux de produits et services culturels. Un potentiel gigantesque, mais en jachère.

LE RENOUVEAU AFRICAIN

La Stratégie économique francophone, adoptée lors du Sommet de Dakar, accorde « une priorité aux pays et régions francophones du continent africain engagés dans la transformation structurelle de leurs économies ». Ce choix, loin d'être le fruit du hasard, est plutôt la conséquence directe du renouveau de l'Afrique.

La croissance annuelle du PIB réel africain s'est accrue de 4,8 % entre 2006 et 2014. Elle devrait atteindre 5 % en 2016 et plus de 6 % en Afrique de l'Ouest. L'Afrique devrait bientôt renouer avec les impressionnants taux de croissance d'avant la crise économique mondiale de 2008, alors qu'elle affichait 6 %. Les investissements directs extérieurs (IDE) devraient atteindre 73,5 milliards US en 2015 et se diversifier au profit des services et des biens de consommation.

Pour autant, le projet d'une « francophonie économique », avec l'Afrique comme enjeu central, est-il réaliste ? À quelles conditions concilier les intérêts géopolitiques des pays du G8 et du G20 avec ceux de l'Afrique de l'Ouest ? Comment articuler le développement entre des acteurs si inégaux et aux intérêts trop souvent contradictoires ?

Ces questions sont actuellement sans réponse satisfaisante. Le concept d'une « francophonie économique » végète donc dans ce flou que les États cherchent laborieusement à débroussailler. Ce n'est pourtant pas une raison pour mettre cette idée sous éteignoir.

À l'évidence, l'espace économique francophone n'est pas assimilable à un espace régional intégré, encore moins à un ensemble structuré doté d'objectifs partagés et de règles communes.

Les échanges économiques y existent en dehors de tout cadre juridique et institutionnel global organisé. Quant à l'espace économique africain, francophone ou non, il n'est rien d'autre qu'une courtepointe fracturée, incapable de réguler efficacement les conditions de l'échange : CEDEAO, CEEAC, EAC, COMESA, UEOMA, CEMAC, etc.

Il y a urgence à construire un axe Québec-Afrique ayant pour pivot l'Afrique de l'Ouest, où se regroupent la majorité des pays francophones ou partiellement francophones. Pour l'instant, le Québec continue de reculer sur le vaste marché africain, sans stratégie, sans ambition, la tête remplie de bons sentiments, mais trop souvent les mains vides.

D'autres, pendant ce temps, occupent la place laissée vacante par notre immobilisme et notre désinvolture. À son échelle, qui n'est pas négligeable, le Québec dispose de nombreux atouts pour construire sur le continent africain, avec les États et à leur écoute, les premiers jalons d'une francophonie économique en mesure d'affronter la compétition multipolaire.

Devant ce défi, le Québec peut et doit montrer la voie aux autres pays de la Francophonie. Car, n'en doutons pas, si le Québec n'est pas partie prenante de la nouvelle dynamique de l'Afrique, il ne lui restera plus qu'à ramasser les miettes d'un rendez-vous manqué avec l'histoire de ce continent.