Fin juillet 2015, ma compagne de vie des dernières 34 années mettait fin à ses jours après un long combat contre l'anxiété.

Le courage de cette femme dans les deux années précédant l'événement a été exemplaire. Aujourd'hui, je veux dénoncer non pas le manque de ressources en santé mentale, mais bien le manque de communication entre les divers intervenants et surtout la limite de la médecine traditionnelle. 

Si notre histoire permet de donner de l'espoir ou même de sauver ne serait-ce qu'une vie, il m'apparaît primordial de vous faire part du fil des événements qui ont conduit mon épouse à l'irrémédiable. Vous comprendrez que cette démarche est très difficile pour moi et, malgré ma douleur toujours aussi vive et présente, je ne peux passer sous silence notre, et surtout, son combat contre l'anxiété.

En octobre 2013 apparaissaient ses premiers symptômes d'anxiété. Gorge serrée, sensation de vibration à l'intérieur, perte de sommeil et surtout appréhension démesurée devant l'avenir.

Comme bien des Québécois, nous n'avions plus de médecin de famille, ce dernier ayant pris sa retraite. Nous nous sommes retrouvés sur la liste centralisée en attente de l'assignation d'un nouveau médecin. Nous avons consulté à l'unité de médecine familiale (UMF) de l'Hôpital de Chicoutimi. Ce service, quoique relativement accessible, est opéré par des médecins en dernière année de médecine sous la supervision de médecins expérimentés.

La jeune femme médecin qui nous a reçus a été empathique et professionnelle. Elle a prescrit à ma femme un antidépresseur de nouvelle génération avec de faibles effets secondaires. Comme les mécanismes d'action de ces médicaments sont lents, les effets apparaissent après quelques semaines seulement. Des médicaments contre l'insomnie ont été aussi prescrits.

L'un des symptômes importants de l'anxiété est le réveil après seulement quelques heures de sommeil, laissant mon épouse perdue dans un dédale de pensées incessantes. Après quelques mois, quelques visites chez le médecin et un nouvel antidépresseur, une partie des symptômes étaient sous contrôle.

Physiquement, mon épouse subissait des changements importants, dont une perte de poids de plus de 35 livres. Son entrain a lentement fait place à de l'amertume. Le drame avec la maladie mentale est que, contrairement à un bras cassé ou à une chirurgie, rien n'y paraît physiquement au premier regard. Les personnes atteintes essaient souvent de le camoufler à cause des nombreux tabous associés à la maladie mentale. Entre-temps, notre jeune médecin a quitté l'UMF afin de terminer sa formation. Nous avons dû recommencer avec un autre interne. Malgré la médication et tout le support que je pouvais lui apporter, en juin 2014, elle a tenté de mettre fin à ses jours.

À ce moment, pour la médecine, mon épouse est devenue une priorité. Ambulance, urgences, soins intensifs, cure fermée, psychiatre et nouvelle médication. La médecine traditionnelle avait un cas standard à soigner. Finalement, une semaine plus tard, elle était de retour à la maison avec une nouvelle médication et un rendez-vous chez le psychiatre trois semaines plus tard.

Jamais la médecine traditionnelle ne nous a informés de l'existence d'un groupe d'aide spécialisé, traitant des cas sévères d'anxiété ou de notre centre de prévention du suicide. Le psychiatre rencontré aux urgences nous a reçus deux fois et nous a informés qu'il quittait Chicoutimi. Retour à la case départ, avec un nouveau psychiatre qui a encore changé sa médication.

Malgré mon insistance, il n'a jamais voulu me rencontrer. Je suis pourtant la personne qui la côtoie tous les jours et la connaît le plus. La situation ne s'est pas vraiment améliorée et, malgré qu'elle était inscrite à un groupe traitant l'anxiété sévère, ma conjointe a commis l'irrémédiable à la fin juillet 2015, alors que j'étais à l'extérieur toute la journée pour mon travail. Ce matin-là, je l'ai embrassée comme tous les autres jours, mais, à mon retour, elle n'y était plus.

Rien, aucun mot, aucun indice. Que la perte immense, comme un abîme sans fond.

Devant l'ampleur de cette perte, ma famille et moi avons rencontré une intervenante du centre de prévention du suicide. Elle nous a pris en main et je la consulte encore sur une base individuelle.

Mais avec le deuil viennent les doutes et les questions.

Pourquoi a-t-il fallu qu'il y ait une première tentative de suicide avant que ma compagne soit recommandée à un psychiatre ?

Pourquoi les psychiatres n'ont-ils fait qu'ajuster et suivre une médication ?

Pourquoi n'ont-ils jamais voulu me rencontrer ?

Pourquoi ne pas l'avoir dirigée vers le centre du suicide après sa première tentative ?

POURQUOI ? POURQUOI ?

Autant de questions sans réponses, mais qui auraient dû l'être. La maladie mentale est complexe et la solution l'est également. Une pilule ne règle pas tout. Une multitude d'intervenants sont souvent nécessaires, et il manque de coordination. C'est un processus lent et insidieux.

Vous, qui vivez une problématique similaire, n'hésitez pas à sortir des sentiers battus, à forcer les choses, car avec la maladie mentale et plus particulièrement lorsqu'il est question d'anxiété, le temps est votre pire ennemi. Soyez aux aguets des appels à l'aide de la personne affectée, qui sont souvent subtiles et difficiles à cerner. N'hésitez pas à vous entourer des ressources nécessaires, même au détriment de la médecine traditionnelle, qui a montré plus d'une fois ses limites devant la maladie mentale. Une vie est en jeu !

Malgré toute ma bonne volonté et l'implication de ma famille, ma compagne de vie m'a quitté à 56 ans. Je vais continuer ma route avec mes doutes, mes questions et ma douleur. J'espère que mon témoignage vous donnera le courage de continuer et de faire fi des obstacles en chemin, afin d'assurer la guérison d'une personne aimée sur la route parfois tortueuse de la maladie mentale.

*La 26e Semaine nationale de prévention du suicide se déroulera du dimanche 31 janvier au samedi 6 février. Le thème sera: « T'es important pour nous. Le suicide n'est pas une option. »