Le maire Denis Coderre a annoncé un projet d'aménagement de la place Jacques-Cartier dans le cadre des legs pour le 375e anniversaire de Montréal.

Tel que présenté sur le site internet de la Ville, ce projet vise « la protection et la mise en valeur des caractéristiques patrimoniales et paysagères du Vieux-Montréal » et, surtout, « la révision des pratiques et des façons de faire en matière d'occupation du domaine public ».

Certaines interventions prévues dans ce projet sont souhaitables. Ainsi, prévoir des toilettes publiques, limiter la circulation sur la place Jacques-Cartier aux livraisons et aux véhicules d'urgence, réaménager la place de La Dauversière, piétonniser la rue Saint-Amable et, enfin, rétrécir la traversée de la rue de la Commune pour y aménager un espace public en continuité avec la place Jacques-Cartier, toutes ces interventions contribueront à une meilleure utilisation de ces lieux.

Par contre, en ce qui concerne l'aménagement de la place Jacques-Cartier elle-même, le projet prend appui sur « une inspiration historique de la place » à partir de photographies des années 1900 et 1930 et sur une conception du patrimoine qui s'avère de l'ordre de la manipulation de l'opinion publique à des fins déterminées.

L'emplacement de la place Jacques-Cartier correspond à celui des jardins du château de Vaudreuil érigé au cours du Régime français, lequel château a hébergé par la suite le Collège de Montréal. Après l'incendie de ce collège en 1803, les autorités municipales ont décidé de transformer ces jardins en une place de marché public, connexe au marché Bonsecours.

Or si des marchands sont venus y offrir leurs produits pendant plus d'un siècle, ce ne fut pas un marché construit comme le sont aujourd'hui les marchés Atwater et Jean-Talon, mais bien un lieu ouvert, un lieu de mobilité qui a servi à diverses autres fonctions. Et, aujourd'hui, la place Jacques-Cartier accueille, en parallèle avec les terrasses le long des bâtiments riverains, des utilisations diverses, temporaires et à l'occasion spontanées, qui contribuent à sa vitalité.

Quand la Ville considère que sur la place Jacques-Cartier « les cafés-terrasses prennent diverses formes, diverses couleurs, divers matériaux et en sont venus à occulter les façades du cadre bâti de la place », il n'y a sûrement pas grand monde de son milieu qui a eu l'occasion de s'attabler à des cafés-terrasses à New York, Paris, Berlin ou Rome. Montréal est une métropole qui a un passé et un vécu : le patrimoine ne se résume pas qu'à ses façades figées. Il doit aussi prendre en compte l'histoire, l'utilisation et la culture des lieux.

Vouloir installer en permanence des terrasses en contre-allée dans la place Jacques-Cartier, prenant la forme de deux rangées parallèles de wagons, terrasses toutes identiques entourées de panneaux protecteurs et couvertes de toitures en zinc munies d'auvents rétractables, c'est privilégier une recette de banlieue, transformer une place publique historique en des corridors anonymes de consommation, bref, traiter les citoyens et les touristes comme des écoliers.

Ce n'est pas ça l'essence d'une place publique. Une place publique s'avère avant tout un lieu d'ouverture et de liberté, non de standardisation à outrance. On pourra toujours arguer que dans certains pays, notamment en Scandinavie, on trouve à l'occasion des aménagements semblables. Fort bien, cela prouve qu'il existe sur terre des cultures différentes. Raison de plus pour mettre en valeur celle que Montréal possède, une culture d'origine latine qui s'est développée assez bien au cours des 374 dernières années.