J'entends la question soumise à ce débat comme faisant appel à trois autres questions : comment définir le terme « vieux » ? Comment s'imposer dans le monde du travail lorsqu'on a un âge avancé ? Comment contribuer à sa juste valeur dans le monde où on est perçu comme « vieux » ?

Même si l'article « À quel âge sommes-nous vieux ? » ne mentionne aucun chiffre, parce que la problématique mise en jeu vise surtout l'âge dans le cadre du milieu de travail, je suppose qu'elle s'applique aux 50 ans et plus, c'est-à-dire des gens qui cherchent encore à travailler, par besoin ou par goût. Je commence donc ma réflexion par un petit recensement rapide des personnes de 50 ans et plus que je connais et qui travaillent.

Commençons par cette professionnelle qui, passé la cinquantaine, a choisi de changer d'emploi il y a deux ans, pour mieux réaliser ses projets professionnels. On l'a avertie que son âge serait pris en compte. Et pourtant, elle a obtenu le poste qu'elle souhaitait, où elle donne libre cours à sa vision, ses idées et son expérience de gestion. Pourquoi ? Parce qu'au fil des ans elle a accumulé une expertise unique, qu'aucun « jeune » ne pouvait offrir. Un autre, par contre, qui doit maintenant se retrouver un emploi à 62 ans, se bute à son âge : certains employeurs imposent la retraite à 65 ans et son expérience ne se distingue pas de celle d'un « jeune ». Il est avocat, un excellent avocat, dans un domaine peu lucratif qu'il ne rendra pas lucratif à son âge.

Et puis, il y a cette ancienne haute gestionnaire qui, à 73 ans, préside une organisation internationale et est membre de nombreux conseils d'administration. Il y a aussi un ancien haut fonctionnaire qui, à 76 ans, est conseiller stratégique dans un cabinet professionnel international où il en mène large. Finalement, pour écourter la liste d'exemples que je pourrais donner, je termine avec ce couple que je connais, tous deux près de 70 ans, qui cherchent les moments où se rejoindre à travers leurs agendas professionnels chargés.

À travers ces gens, on voit que la définition de « vieux » dans le milieu du travail repose sur la pertinence de la contribution potentielle.

L'article utilise le terme « décalée » et je crois qu'il contient la réponse à sa question : on est vieux lorsque notre contribution potentielle est en décalage avec les besoins du marché du travail. Comment l'éviter ? En développant une expertise unique et pertinente, que seul le fil des ans peut construire.

Donc, pour répondre à la question soumise à ce débat, on est « vieux » pour le marché du travail lorsque, en retour de la jeunesse, on n'a pas à offrir une expertise unique. Pour ceux qui veulent travailler longtemps, il faut la bâtir tout au fil de la carrière.

Mais il y a une exception : la valeur de l'éthique professionnelle. De plus en plus de personnes âgées trouvent un emploi pour les valeurs qui caractérisent leur génération : certains employeurs ne veulent pas de ces « irrévérencieux », mentionnés avec un brin d'envie dans l'article, et cherchent plutôt l'employé mûr, fiable et loyal que représente à leurs yeux une personne plus âgée. Il y a donc une façon pour l'employé âgé de trouver l'emploi où il ne sera pas trop « vieux ».

Finalement, je sens le besoin de contester cette affirmation que la vieillesse, « c'est pas joli ». En fait, c'est peut-être la plus jolie partie de la vie. Voyez la peinture de Suzor-Coté au Musée des beaux-arts de Québec qui porte deux titres, Contentement ou Le Vieux Rentier. Ou lisez Daniel Klein, Balade avec Épicure, pour reconnaître les joies de cette période de la vie où on savoure le fruit de notre labeur et, surtout, la sérénité d'un paradigme de satisfaction plutôt que l'étau d'un paradigme de performance. Et cela vaut au travail, où l'on jouit du prestige qu'on a construit, à la maison, où les enfants reviennent pour le simple bonheur de se retrouver, et dans la société où, affranchis de nos obligations financières et familiales, on peut prêter main-forte à ceux moins fortunés, selon nos convictions profondes. En somme, se réaliser comme jamais auparavant.

En réponse à la question, je suppose qu'on n'est vieux que lorsqu'on ne sert plus et ça, c'est un choix, pas un âge.