La série « Rire du pire » de La Presse+ (2, 3 et 4 janvier) m'a intéressé au plus haut point. Je salue bien bas ces personnes courageuses qui, à leurs risques et périls, utilisent l'arme de dérision massive pour combattre les extrémistes.

J'appuie à 100 %. De plus, je suis un grand amateur d'humour et de comédie et je pratique volontiers l'un et l'autre auprès de mon entourage. C'est à dessein que j'ai écrit « l'un et l'autre », car si l'humour fait rire, tout ce qui fait rire n'est pas humour. Beaucoup s'en faut. Et justement, ce dont traite la série, c'est de la satire politique et non de l'humour, selon le sens traditionnel du terme.

Je constate qu'en quelques décennies, les francophones ont élargi le sens des termes « humour » et « humoriste » au point d'en faire des fourre-tout dans lesquels on fait entrer à peu près n'importe quoi et n'importe qui, pour peu que l'intention soit de faire rire ! Or, il n'y a guère plus de 10 % des artisans de la scène qui tentent ou réussissent à faire rire le public qui méritent vraiment le titre d'humoristes, ce qui ne veut pas dire que les autres ne sont pas drôles. Par ailleurs, on peut parfaitement pratiquer l'humour sans jamais monter sur scène. Le livre, le théâtre, le film ou la télévision, la bande dessinée, la caricature, sont autant d'excellents véhicules pour l'humour.

Ma définition préférée de l'humour est celle de l'un de nos grands humoristes canadiens, Stephen Leacock (1869-1944) ; il a écrit que l'humour est « l'aimable contemplation des incongruités de la vie ». Trois mots qui disent tout. « Aimable » : l'humour n'est jamais méchant ; « contemplation » : observation fine et description habile des « incongruités de la vie », soit les travers de notre société, petits et grands.

L'humour est critique sociale. Celui qui le pratique vise les travers de la société et non un ou des individus en particulier.

L'humoriste est sa propre tête de Turc ; il ne fait jamais de victime, contrairement à la personne d'esprit qui s'amuse gentiment ou se moque cruellement d'un tiers, au bénéfice de son auditoire. Par le rire, l'humoriste fait réfléchir ; le satiriste dénonce. Voilà la grande caractéristique qui permet de séparer les vrais humoristes des comiques de tout acabit.

En fait, tous les gens qui montent sur scène seuls pour s'adresser au public et le faire rire ne sont ni des orateurs ni des prédicateurs ; ils sont ce qu'on appelle en anglais des stand-up, expression qui peut parfaitement se rendre par « monologuiste ». Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi ce mot rebute les intéressés. Un auteur n'a aucune réticence à dire qu'il écrit des monologues ; pourquoi refuserait-il l'appellation « monologuiste » quand il monte sur scène pour les livrer à l'auditoire ?

Clémence DesRochers et Yvon Deschamps sont de parfaits exemples de monologuistes humoristes. Autre exemple évident : Martin Matte. Par contre, un Mike Ward, qui est un homme à l'esprit brillant et à la plume bien aiguisée et qui livre ses monologues avec une redoutable efficacité, n'entre pas souvent dans le moule humoriste. Non pas parce qu'il a choisi le stand-up ou monologue « trash », mais parce qu'il fait presque toujours des victimes. En passant, « trash » est à la mode, mais « ordurier » veut dire exactement la même chose.

L'anglais a une terminologie plus variée que le français pour désigner les artisans et les métiers du rire. En plus du stand-up déjà mentionné, on a le « performer » qui englobe les artisans ou artistes qui font des représentations drôles où le langage ne joue qu'un rôle accessoire, voire nul. Et surtout, il n'hésite pas à utiliser « comedy » comme terme générique englobant les procédés propres à faire rire.

En français, on pourrait utiliser le terme « monologuiste » pour stand-up, ou être encore plus précis en utilisant le terme « satiriste » pour ceux qui se consacrent à la satire politique, réservant le terme « humoriste » à ceux qui pratiquent la critique sociale sans faire de victimes.

Enfin, on pourrait revitaliser le terme « comique » pour ceux qui ne cadrent pas vraiment dans l'une ou l'autre catégorie. Le terme « performeur », qui n'est pas un anglicisme en dépit des apparences, pourrait désigner les Mesmer, Langevin et imitateurs en tous genres, encore qu'ils ont déjà des désignations spécifiques.

Enfin, le mot « comédie » conviendrait beaucoup mieux que le terme « humour » comme générique pour toute l'industrie du rire, son festival, son gala, ses pompes et ses oeuvres ! Quant à l'École nationale de l'humour, elle devrait s'appeler plus justement École nationale de la comédie, car pour autant que je sache, on n'y enseigne pas l'humour.

Cela dit, la langue évolue et c'est bien ainsi. Les comiques se sont emparés des termes « humour » et « humoriste » parce qu'ils les considèrent comme mélioratifs. Le grand public n'en a cure. Le linguiste peut bien donner son avis, mais le peuple a presque toujours le dernier mot, à tort ou à raison.