En réaction au texte « Discrimination intracommunautaire », publié le 5 janvier.Observant de la « discrimination intracommunautaire » au sein de la communauté musulmane, Monsieur Jabiri note deux clivages : entre types de mosquées et entre générations. Il se trouve que mon parcours m'a situé aux confluents de ces deux clivages.

Au début des années 1970, j'ai vu croître la première mosquée érigée au Québec, là où l'arrondissement actuel de Saint-Laurent touche Cartierville. Ces deux clivages ne m'ont jamais préoccupé.

Pour l'écolier au primaire que j'étais, les tensions entre Égyptiens et Pakistanais (les leaders d'alors) me semblaient d'inoffensifs échos aux tensions internationales relayées par les médias. Quarante ans et des centaines de mosquées plus tard, le portrait s'est complexifié, c'est vrai. Mais comment s'attendre à ce que les immigrants se montrent plus fraternels ici que leurs cousins demeurés dans les terres d'origines?

Quant aux tensions entre générations, elles étaient banales chez mes camarades immigrés, toutes religions confondues. Aujourd'hui, elles s'empilent par-dessus la fracture numérique, mais n'ont rien de distinctif au sein de la communauté musulmane.

Avec le recul, je perçois moins de la discrimination intracommunautaire au sein de la communauté musulmane que l'absence d'une communauté à proprement parler. Cette perception découle d'une succession de trois prises de conscience.

La première a été de réaliser que l'islam homogène de mon enfance était, dans le monde des adultes, au moins aussi pluriel que l'univers des chrétiens. Entre les divers schismes, sous-branches et autres écoles juridiques, je découvrais des clivages doctrinaux parfois si profonds qu'ils en venaient à brouiller la dichotomie fondatrice de mon éducation religieuse : la « maison de l'islam » versus celle des mécréants.

La seconde a été de réaliser que cette dichotomie s'était immiscée dans les deux maisons. Lorsque ma curiosité d'enfant me poussait à fouiller ce pluralisme (ex : « Parlez-moi de ces Ismaïlis, dont on aperçoit une mosquée à Longueuil »), on détournait mon regard en me servant le refrain de l'égarement du droit chemin (typiquement par ignorance des détails), me laissant entendre que ce n'était pas de « vrais » musulmans, nonobstant leur minaret. Et si j'insistais, on ajoutait celui de la conspiration : c'est une secte créée et entretenue par (insérer ici l'ennemi de l'islam alors en vogue) pour affaiblir la « maison de l'islam ».

Et la troisième prise de conscience, celle qui ne manque jamais de me glacer le sang, c'est la conséquence potentielle pour ma vie si un autre musulman venait à estimer que je ne suis pas/plus un « vrai » musulman. Est-ce par pudeur que M. Jabiri parle d'un « clash pas facile » et de « conséquences sur le fonctionnement de chacun » si on venait à me percevoir comme « trop intégré » à la société d'accueil? Est-ce « cracher sur mes origines et ma communauté » que de noter ici, franchement, le risque qui vous guette si un autre musulman vous déclare mécréant?

Cette menace de mort est mentionnée dans (au moins) trois versets coraniques sujets à interprétations. Au fil des discussions, elle a fini par unir les quatre écoles juridiques du sunnisme (qui gouvernent un musulman sur 10). Quant au chiisme, on peut mentionner par exemple la fatwa demandant le meurtre du romancier Salman Rushdie. La moindre ambiguïté est levée par une douzaine de déclarations on ne peut plus explicites attribuées au prophète de l'islam.

M. Jabiri postule une communauté avant d'appeler à l'unité en son sein. J'ai pour ma part du mal à qualifier de communauté un rapprochement géographique inédit dans l'histoire humaine d'autant de sous-communautés, en guerre les unes avec les autres - sinon sur leur terrain de provenance, en tous cas sur celui des idées - et faisant planer le spectre de votre mort si vous êtes identifié hors de lui.