Avec les premiers réfugiés syriens qui ont commencé à arriver cette semaine, de nombreuses personnes au Québec et au Canada se posent une panoplie de questions sur la pertinence de cet accueil massif. Certaines de ces questions sont motivées par la peur, d'autres par la curiosité, et toutes méritent une réponse. Je vais donc me baser sur ce que mes parents et grands-parents, immigrés, m'ont raconté de leurs expériences.

D'abord, il est important de comprendre que très peu de gens émigrent parce qu'ils en ont envie. Comme nous, Québécois et Canadiens, ils aiment leur pays et souhaiteraient y rester. S'ils décident de quitter amis, famille et emploi, c'est parce que la vie est devenue insupportable, que ce soit au niveau sécuritaire ou économique.

Mon père est arrivé au Canada en 1978, alors âgé de 18 ans. Son père devait nourrir, habiller et éduquer une famille de neuf enfants avec un maigre salaire de militaire, en pleine guerre civile libanaise. Mon grand-père me racontait que des fois, afin de pouvoir payer pour la scolarité des enfants, lui et ma grand-mère pouvaient passer des semaines à ne manger que du pain et boire de l'eau, faute de quoi leurs enfants seraient privés d'éducation. Le sacrifice fut encore plus grand lorsque les trois aînés ont quitté le nid familial pour étudier en Égypte, au Canada et en URSS, dans l'espoir de bâtir une nouvelle vie et faire suivre le reste de la famille.

« Que de nuits à lire les lettres de ton père et à pleurer », me racontait ma grand-mère. « Même si je savais qu'ils partaient pour une vie meilleure, je ne pouvais supporter l'idée de passer ma vie si loin de mes fils. »

En 1982, l'armée israélienne a envahi le Sud-Liban et est arrivée jusqu'à la capitale, Beyrouth, déjà déchirée par la guerre civile. Les bombardements de l'armée israélienne, ultra équipée, se conjuguent à ceux de toutes les autres forces présentes. Mon père, toujours à Montréal, regarde la scène à la télévision, impuissant, sans avoir de nouvelles de sa famille. Les images de Beyrouth dévasté défilent sur l'écran lorsque soudain, il reconnaît l'appartement de ses parents, en flammes. À ce moment, il est sûr qu'il a perdu toute sa famille. Il téléphone partout, à tous ceux qu'il connaît et qui sont susceptibles de savoir si sa famille s'en est sorti. Silence radio.

Quelques jours plus tard, il apprend que sa famille a réussi à fuir in extremis et à se réfugier en sûreté chez un ami de la famille. Des « close call » comme ça, mon père m'en a raconté des tonnes. C'est ça, la vie dans un pays en guerre. Tu ne sais jamais ce qui t'attend. Une balle, un obus, une bombe.

Ma mère, pour sa part, a aussi connu son lot d'histoires rocambolesques.

Un soir, assise devant la télévision pendant que l'on regardait les nouvelles sur une chaîne arabe et que l'on voyait les atrocités de la Syrie, elle décide de m'en parler.

« Tu sais, mon fils, ces gens vivent un cauchemar. Je me souviens moi aussi de ce que c'était, vivre cela. Avec ta grand-mère, mes soeurs et mon frère, nous sommes restés blottis pendant six mois dans les toilettes au centre de l'appartement, puisque c'était le seul endroit où l'on se sentait moins à risque de recevoir une bombe. »

Où tombaient les bombes, maman ? « Sur les réservoirs d'eau, derrière l'immeuble, à environ 20 mètres de l'appartement. » Et comment avez-vous fait pendant six mois pour survivre ? « Je ne sais pas, mais on a survécu. »

Voilà un minuscule aperçu de ce que mes parents, grands-parents, oncles et tantes ont vécu. Des histoires comme celles-ci, les immigrés et réfugiés que nous avons accueillis et que nous accueillerons en ont vécu aussi.

Gardons ces histoires en tête, et souvenons-nous pourquoi nous sommes une terre d'accueil au Québec et au Canada.