Frappés en 2015 : la Libye, le Kenya, la Tunisie (Bardo, Sousse), la Turquie, l'Égypte, Beyrouth, Paris, Bamako, sans oublier les horreurs quotidiennes en Syrie. Le terrorisme ne connaît pas de frontières.

Comme d'une épidémie, on en meurt sur tous les continents. Le terrorisme est un mutant qui a une longue histoire. Si la marque qui fait la manchette aujourd'hui est djihadiste, elle a des antécédents à ne pas oublier.

Le terrorisme est un mode opératoire et une forme de violence à finalité politique. Il fait des dommages, mais vise surtout à frapper les esprits, à semer la stupeur, à effrayer.

Un retentissement maximal est recherché pour ébranler, l'onde de choc instaurant un climat anxiogène d'insécurité. Il y a disjonction entre les victimes immédiates et la cible réelle, soit la société à épouvanter. Le terrorisme est une violence spectaculaire (inhabituelle, gratuite ou disproportionnée) visant à exercer une pression politique par l'effet de la peur.

Le terrorisme procède d'une méconnaissance des modalités du changement historique. Mirage d'une réussite rapide au moyen de coups d'audace, il s'apparente à la quête d'un raccourci ou d'une solution miracle. Postulant l'isolement, il est aux antipodes des mouvements populaires de masse. Sa pauvreté programmatique reflète l'inaptitude à l'analyse politique. Le but est soit grandiose et hors de sa portée (ex. : abattre l'État, fonder le califat universel), soit inavouable (ex. : nettoyage ethnique). Le terrorisme développe un culte de l'action pour l'action et une mystique de la violence. Rendant odieuse la cause dont il se réclame, il est contre-productif et mène à l'impasse. Infiltrable, il est aisément récupéré et instrumentalisé. Une typologie des diverses formes de terrorisme comprendrait quatre catégories.

DU TERRORISME PRIMITIF AU TERRORISME ÉTATIQUE

Le terrorisme primaire consiste en attentats isolés ou improvisés. Les anarchistes de la fin du XIXe siècle pensaient renverser l'ordre établi en assassinant des dirigeants politiques. Naturellement, il n'en a rien été ; les personnalités tombées furent remplacées par d'autres, et tout continua comme avant.

Deuxième catégorie, la terreur étatique (d'en haut) est la forme originelle du terrorisme. Franchement revendiquée, la terreur révolutionnaire sévit contre les ennemis de la Révolution française et ceux de la révolution russe. Également assumée, la terreur contre-révolutionnaire soutint un ordre réactionnaire en France en 1815 (terreur blanche), en Italie fasciste, en Allemagne nazie et dans le Chili de Pinochet. Le ciblage intentionnel de civils durant les guerres a un caractère terroriste. Le massacre de Palestiniens à Deir Yassin en 1948 fut un cas notoire de terrorisme dans un contexte colonial. Les politiques d'assassinats dits « ciblés » relèvent du terrorisme d'État.

DU TERRORISME GROUPUSCULAIRE AU TERRORISME « SPONSORISÉ »

La troisième catégorie est celle des groupes clandestins non étatiques (d'en bas). Se voulant une avant-garde, les populistes russes du XIXe siècle espéraient réveiller le peuple par un terrorisme catalyseur (« propagande par le fait »). L'échec a été total. La colonisation donna naissance à des organisations comme l'Irgoun, le groupe Stern et l'OAS. Durant la décennie 70-80, « années de plomb », le « gauchisme » conduisit au terrorisme d'éclat ou d'ordre publicitaire, avatar du populisme russe. L'« action directe » se traduisit en prises d'otages, enlèvements, etc. Le résultat fut nullissime. Dans un autre sillon apparut le djihadisme qui, derrière des projets millénaristes, consistait en des groupes d'action terroriste.

Quatrième catégorie, le terrorisme commandité par des États est celui de notre époque. Les escadrons de la mort de l'Amérique latine procurent le modèle. Des États parrains prennent en charge des djihadistes et s'en servent comme supplétifs, sous-traitants ou troupes de choc pour des guerres par procuration contre d'autres pays. Ils ont pour mission de déstabiliser, dévaster et détruire de l'intérieur. Le lieu d'incubation a été l'Afghanistan des années 70 et 80. 

Engendrée par les États-Unis, l'Arabie saoudite et le Pakistan, Al-Qaïda est la matrice du djihadisme mondialisé. Ses rejetons se manifestent, entre autres, en Bosnie, au Kosovo, en Russie, en Irak, en Libye, en Syrie. Le groupe État islamique en est un. Des clones ou filiales dûment agréées essaiment urbi et orbi comme par métastase. En Syrie pullulent des milices vivant de l'afflux de milliers de recrues venant de plus de 80 pays. Se poursuivant, la guerre en Syrie par djihadistes interposés génère le terrorisme partout, y compris chez ceux qui le dirigent contre leurs ennemis. Arme à double tranchant, le djihadisme commandité est une variante de terrorisme qui échappe à ses commanditaires.