Chers réfugiés,

Je m'appelle Alexandro Allison-Abaunza. À la lecture de ce nom un peu spécial, vous aurez compris que je ne suis pas le Québécois « de souche » typique. Mon père est québécois et ma mère est mexicaine. Je m'adresse à vous, en mon nom, et peut-être aussi en celui d'autres gens qui, comme moi, adhèrent au fait qu'ouvrir notre frontière ne constitue pas un choix, mais plutôt un devoir.

Dans les prochains jours et les prochains mois, vous serez des milliers à être dispersés à travers notre immense territoire. À ce moment-là, les défis culturels que vous devrez surmonter ne seront sans doute rien à côté des tristesses et des fatalités que vous aurez vécues dans les dernières années.

La langue de Shakespeare et celle de Molière s'ajouteront à celle d'Al-Mutanabbi, grand poète arabe. La poutine et la tourtière accompagneront le kebbé dans un repas constitué de plusieurs plats, comme le veut la tradition des mezzé, et le froid d'une journée de janvier fera contraste avec les 5 degrés à Alep.

Peut-être même que vous deviendrez fans de hockey, qui sait ?

En fait, savez-vous quoi ? J'espère que vous pourrez vivre ces difficultés. Faire comme nous et sacrer en pelletant l'entrée de votre résidence, vous demander si le participe passé s'accorde ou pas et vous obstiner sur la validité du but d'Alain Côté.

Par contre, l'une des difficultés dont j'espère que vous ne rencontrerez pas est celle venant de nous. Dans les dernières semaines, beaucoup de gens ont traduit un mécontentement assez marqué envers votre venue. Ils ont été nombreux à exprimer une haine sans fondement à votre endroit à la suite des attentats de Paris. Sans doute par l'émotion du moment, ils ont été aveuglés par la peur. Une peur suscitée par des gens que l'on doit dissocier de votre identité syrienne.

D'autres critiquent votre venue, car ils considèrent que nous devons nous occuper des nôtres en premier. À cet effet, sachez qu'une vie canadienne est, à mes yeux, l'égale d'une vie syrienne. Avant d'être membres d'une nation, nous sommes membres d'une humanité.

Bref, vous aurez compris que ce ne sont pas tous mes concitoyens qui partagent ma vision.

Cependant, ce qui me fait peur en ce moment, ce n'est pas vous, mais plutôt la manière dont vous serez accueillis.

J'espère que les Canadiens feront la différence entre un désaccord sur les politiques de notre gouvernement et votre présence. J'espère que leur fermeture en regard des décisions gouvernementales ne se reflétera pas dans les interactions possibles qu'ils auront avec vous. J'espère que le racisme que l'on tente encore d'éradiquer ne sera pas présent.

Je crois fermement que l'attitude que nous adopterons avec vous sera gage de la qualité de votre intégration dans notre société.

Après tout, nous, Canadiens, sommes un peuple chaleureux et accueillant. Nous sommes « le plus meilleur pays au monde » comme a déjà dit Jean Chrétien, ex-premier ministre du Canada.

D'ici là, je vous souhaite bonne route et la bienvenue. Au plaisir de vous croiser au centre commercial, à l'université ou dans un petit bar de quartier le samedi soir pour écouter le match.