Le 30 octobre 1995, je me trouvais à Montréal et le jeune trentenaire que j'étais passa l'une des journées les plus fébriles de sa vie.

Le jour de référendum au Québec, je travaillais pour le directeur des élections du Québec à titre de primo dans un bureau de vote d'Hochelaga-Maisonneuve. Bien entendu, dans le cadre de mes fonctions, il m'était interdit de partager avec quiconque mon orientation politique en ce jour de scrutin. Je ne pouvais donc mentionner à qui que ce soit que je voterais pour le « oui ». Il y eut un taux très élevé de participation au vote, et le bureau où je travaillais ne dérougissait pas.

Et laissez-moi vous dire que ça grouillait dans les rues de Montréal. Des autos klaxonnaient et arboraient tantôt des drapeaux du Québec pour le « oui », tantôt des drapeaux du Canada pour le « non ». Il y avait comme une grande rumeur qui se faisait entendre aux quatre coins de la ville. Les Québécois se prononçaient pour leur avenir. Oui ou non pour la souveraineté du Québec.

Une deuxième chance donnée au « oui » après son échec de 1980.

Après la fermeture de mon bureau de scrutin, je pris la direction du centre-ville de Montréal, rue Saint-Denis, sur le Plateau. Je croisai par hasard sur un trottoir nul autre que le chanteur Dédé Fortin des Colocs qui arborait un air enjoué laissant présager, à ses yeux, que le Québec se dirait oui cette fois. Lui et son groupe avaient décidé de procéder au lancement de leur dernier album en cette soirée fatidique.

Un peu plus tard en soirée quand le verdict tomba, je vis à nouveau le même Dédé Fortin à la télévision, les larmes aux yeux, incapable de répondre, tant il était ému, à la question d'un journaliste qui lui demandait sa réaction à la suite de la défaite du « oui ». Le musicien était complètement démoli du choix des Québécois qui était de justesse pour le « non ». Ce moment de télévision, empreint d'une grande tristesse, me toucha grandement, comme il toucha sans aucun doute tous ceux qui le regardèrent et qui avaient voté pour le « oui ». Et ils étaient nombreux.

Je suis sorti seul en début de nuit faire une longue marche dans les rues de Montréal après ce jour de défaite où ma fébrilité s'était transformée en amertume et en rage résorbée. Et sans que personne ne le sache ou même ne s'en rende compte, je chantai tout en marchant L'alouette en colère de Félix Leclerc.