En regardant Stephen Harper et Justin Trudeau prendre la parole au terme de la soirée électorale, on ne pouvait qu'être frappé par le contraste : deux hommes si différents, deux postures, presque deux cultures.

Harper a livré un discours bref, simple comme à son habitude, centré sur ce qu'il a toujours considéré comme la justification de son engagement politique : un État moins gros, moins interventionniste, qui laisse « plus d'argent dans les poches des contribuables ». Harper a été un homme de droite, bien plus à droite que pouvaient l'être Brian Mulroney ou Joe Clark.

Trudeau a livré un discours beaucoup plus long, presque lyrique. À plus d'une reprise, il a parlé de la « politique positive » qui réunit plutôt que diviser, qui considère les autres partis non comme des ennemis, mais comme des « voisins ». Il récuse le cynisme et se réjouit du « retour » des Québécois au gouvernement fédéral.

Sa gestuelle était souple, fluide comme si son corps était en harmonie avec l'élan de son discours. Plus engagé encore, il évoque sa victoire non comme la sienne, mais comme le résultat d'un « mouvement ».

Reprenant l'image des « voies ensoleillées » de Wilfrid Laurier, il aurait pu citer celui-ci plus longuement : « Je suis un libéral. Je suis un de ceux qui pensent que partout, dans les choses humaines, il y a des abus à réformer, de nouveaux horizons à ouvrir, de nouvelles forces à développer. »

Exactement dans le même sens, Justin Trudeau énumérait les besoins des uns et des autres avec la formule « Vous m'avez dit.... », et chaque fois, il évoquait une réponse possible de l'État. Ceux qui le suivent depuis son entrée en politique, voire lors de la mort de son père en 2000, retrouvaient alors les lignes fondamentales de sa posture politique.

À la limite, on avait l'impression de se retrouver pendant les années 60 et 70, avec la « société juste », la « guerre à la pauvreté », comme si tous les réquisitoires contre l'État moderne - sa bureaucratie, son fardeau fiscal et la surréglementation - étaient effacés. Lundi soir, dans la bouche de Trudeau, tout redevenait à nouveau possible : « The sky is the limit. » En l'écoutant, on avait l'impression qu'il voulait reprendre le travail là où l'avait laissé son père, du moins pour ses aspects les plus positifs, comme si la politique n'était pas aussi faite de contraintes, de tensions et de blocages.

Derrière la victoire de Trudeau, il y a bien sûr l'écroulement du NPD, la fatigue des conservateurs, une saine volonté d'alternance, un charisme personnel, mais il y a peut-être aussi la nostalgie d'une époque qui semble bien ancrée dans la mémoire collective : grands projets publics, redistribution fiscale, justice sociale et politique étrangère médiatrice.

Les dernières assemblées libérales tenues dans l'Ouest témoignent peut-être d'un retour de l'engagement citoyen, de même que la hausse du taux de participation de 61 à 69 %, niveau qu'on n'avait pas vu depuis plus de 20 ans.

Pour être à la hauteur de ce qu'il a promis, Trudeau devra cependant ouvrir plusieurs chantiers importants. Pour réformer le mode de scrutin, il doit procéder dans les deux premières années et lutter contre des réticences au sein de son propre caucus. Sur la question des inégalités économiques, il devra démontrer une pugnacité avec les classes les mieux nanties. Sur la légalisation de la marijuana ou l'enquête sur les femmes autochtones disparues, il doit aussi agir promptement.

En arrivant au gouvernement, il se fera évidemment dire par les hauts fonctionnaires qu'il doit mettre de l'eau dans son vin, pire, qu'il doit oublier certains engagements.

Il verra que certaines choses se disent aisément et se font plus difficilement.

Reste qu'au total, si le Parti libéral parvient à réaliser ne serait-ce que la moitié de ce qu'il a promis, sa victoire ne sera pas seulement celle d'un homme ou d'un parti. Elle deviendra peut-être le symbole d'une réhabilitation de la politique, et plus globalement du politique, dans toutes ses déclinaisons citoyennes. Qui sait ? On a bien le droit de rêver !