Monsieur Coderre,Nous comprenons votre intention de modifier sensiblement l'aménagement du square Viger. Souffrant de désaffection, il est devenu le refuge de vagabonds en détresse, mais créant néanmoins des conditions difficiles de fréquentation pour les autres citoyens.

Nous constatons, comme vous, que dans leur état, les pergolas (modules de Daudelin) constituent un réel problème puisqu'elles agissent comme une collection de toits dans une partie de la ville où des centaines de personnes n'en n'ont pas.

Mais leur démolition ne résoudrait pas grand-chose. Les sans-abri n'ont pas simplement élu domicile sous l'oeuvre de Daudelin : on les retrouve aussi sur les deux autres parties du square pourtant recouvertes de pelouse et d'arbres. S'ils se réunissent à cet endroit, c'est parce qu'il y a des toits, mais aussi parce que le lieu n'attire personne d'autre.

La revitalisation du square passe donc par la relance de l'achalandage.

Cependant, ce site ne sera jamais un parc de voisinage ou de destination qui attire un achalandage régulier par sa seule présence - et c'est ce qu'avait compris Daudelin.

Ce qui fait le plus défaut à ce square, c'est ce qui l'entoure. Il n'y a pas assez de résidants dans un rayon de 300 mètres, peu ou pas de piétons, pas de lien entre différents éléments du quartier qui passeraient par le parc ; il est ceinturé de boulevards autoroutiers bruyants et stériles et il est coupé par de larges voies de circulation.

CRÉER UNE PLACE QUI GÉNÈRE SA PROPRE ANIMATION

C'est ce qu'avaient compris les maîtres d'oeuvre du square Viger. En particulier, Daudelin avait perçu les lacunes socioculturelles du site et cherché à y répondre en créant une place qui génèrerait sa propre animation en y adjoignant un village de cubes de béton qui devaient être initialement transformés en buvette, en café, en terrasse et autres commerces de proximité. L'agora et la fontaine, les chutes et les esplanades devaient bénéficier de l'achalandage créé par le « village ».

C'est dans cette voie qu'il faut poursuivre. Il faut pouvoir attirer et retenir les 15 000 employés de l'hôpital - et pour ça, il faut bâtir le village dont rêvait Daudelin. Il faut aussi attirer les planchistes qui veillent tard le soir, les joggeurs qui viennent tôt le matin, les propriétaires de chiens qui n'ont pas le choix de sortir même en mars et en novembre, les grimpeurs et les culturistes qui manquent toujours de destinations.

Ce n'est qu'après avoir créé les occasions d'achalandage durable qu'on pourra penser aux dimensions plus festives et ponctuelles : les projections, les éclairages, les événements éphémères ou récurrents, les foires et les marchés - enfin tout ce que Montréal a de mieux à offrir.

Enfin, on pourrait aussi enrichir le square en le verdissant et en le rendant plus accessible. Il faut revoir son couvert arboricole en replantant les grands ormes qui faisaient sa beauté, rapprocher les trois sections en diminuant la largeur de certaines rues, éliminer des murets de béton inutiles, ouvrir des percées visuelles et des entrées, maximiser l'effet des fontaines, magnifier le mariage nature et architecture en entretenant les toits verts et en jouant avec les niveaux et les plantations.

Il ne s'agit pas seulement de préserver l'oeuvre à la manière d'un totem intouchable. Il s'agit de la préserver, de l'adapter aux besoins actuels et d'améliorer ses qualités urbanistiques pour qu'elle devienne un lieu de vie, de confort et de beauté. C'est en construisant le village et la place publique dont rêvait Daudelin que ce lieu délaissé et difficile de la ville prendra tout son sens. Quelle erreur de lecture urbanistique, artistique et environnementale ce serait de la raser pour la remplacer à fort prix par un aménagement qui ne saurait faire mieux.

Ont signé cette lettre :

Luc Ferrandez, Chef de l'opposition au Conseil municipal de Montréal 

Christian Bédard, directeur général, Regroupement des artistes en arts visuels du Québec

Claude Cormier, principal, Claude Cormier et associés

Éric Daudelin, artiste en arts visuels et fils de Charles Daudelin

Jean Décarie, urbaniste retraité de la Ville de Montréal

Marie-Dina Salvione, Ph. D., historienne de l'architecture moderne, chargée de cours, École de design, UQAM