Le débat sur la privatisation de la Société des alcools du Québec (SAQ) a encore fait les manchettes ces derniers temps. Cependant, il n'y a pas que le Québec qui entretient cette tradition de remise en question, le monopole de la Liquor Control Board of Ontario (LCBO) y songe aussi de temps à autre.

Depuis des lunes, et surtout depuis 1993, lorsque l'Alberta a privatisé son système de commercialisation, le Québec et l'Ontario flirtent avec le concept de la privatisation. Mais en comparant les deux systèmes actuels, l'argumentaire pour une privatisation est futile, à moins d'analyser les mesures de performance qui comptent pour les contribuables.

D'abord, il faut bien préciser que le régime québécois en matière de commercialisation d'alcool est semi-privé, pas seulement public, et que le monopole de la SAQ n'est pas aussi influent que celui de la LCBO en Ontario. Les consommateurs québécois ont accès à des produits alcoolisés dans les épiceries et dépanneurs depuis fort longtemps. En contrepartie, le régime ontarien est très restreignant pour les consommateurs, car la province est aux prises avec un cartel privé de la bière, le Beer Store. Pire encore, les microbrasseries peinent à se tailler une place puisque la LCBO et le Beer Store sont souvent intransigeants à leur égard. Le besoin d'une réforme en Ontario est donc beaucoup plus criant qu'au Québec.

Pour la SAQ, la privatisation est peut-être une solution enviable, mais la réelle difficulté se situe au niveau de son modèle de gestion.

C'est en comparant le rendement financier de la SAQ avec celui de la LCBO que l'on s'aperçoit à quel point la gestion de cette société d'État québécoise est pitoyable. À titre d'exemple, avec plus de 7500 employés, la SAQ rapporte aux Québécois environ 1 milliard de dollars en dividendes. Pour la LCBO, avec ses 3700 salariés, la société génère plus de 1,7 milliard. Le rendement par travailleur de la LCBO est pratiquement quatre fois plus élevé que celui de la SAQ. 

De plus, les salaires en magasin en Ontario sont en moyenne de 20 % à 25 % plus élevés qu'au Québec. Les employés de la LCBO sont donc mieux rémunérés, tout en contribuant davantage aux coffres de l'État. Autrement dit, le système administratif de la SAQ est imposant, mais surtout inefficace. Pour obtenir un rendement semblable à celui de l'Ontario, la SAQ n'aurait besoin que de la moitié de ses effectifs actuels, sinon moins.

Certains programmes à la SAQ nous indiquent que, occasionnellement, les priorités sont mal définies. Par exemple, les quelque 8500 employés et retraités de la SAQ ont droit à un généreux plan d'achat de produits en magasin leur offrant des rabais de 40 %. Ce plan d'achat coûte à peine sept millions de dollars à la société - ce n'est pas grand-chose - , mais la symbolique dérange. Ce programme pourrait avoir plus de sens si les rabais s'appliquaient uniquement sur les produits québécois. Quant aux employés de la LCBO, ils n'ont droit à aucun rabais, par principe.

D'ailleurs, le palmarès lamentable de la SAQ pour soutenir la filière vinicole québécoise en gêne plus d'un. Dans l'absolu, la gestion de la société ne semble pas vouloir se consacrer aux vignerons québécois. Bien que la SAQ ait fait des efforts considérables ces dernières années, la LCBO maîtrise beaucoup mieux l'art de faire la promotion de ses produits locaux. En vertu de campagnes agressives et quasi continuelles, plus de 40 % des vins vendus dans la province ontarienne sont d'origine locale. Ses magasins Wine Rack, souvent adjacents aux magasins d'alimentation, n'offrent que des vins ontariens, et rien d'autre. C'est certes une approche enviée par les producteurs québécois.

Bref, la privatisation de la SAQ pourrait régler bien des choses, mais il n'en demeure pas moins que l'insouciance administrative de la société se reflète clairement dans ses résultats financiers. Pour la SAQ et les contribuables québécois, c'est un changement de culture organisationnelle qu'il faut, d'abord et avant tout, peu importe qu'il y ait privatisation ou non.