Les récents événements qui secouent le Barreau sur la place publique et l'inaptitude manifeste des nouveaux membres de son conseil d'administration à agir dans le respect du droit soulèvent des questions quant au bien-fondé de sa nouvelle gouvernance, adoptée à toute vapeur en décembre 2014 via le projet de loi 17.

Les lacunes les plus évidentes de la nouvelle gouvernance se retrouvent sur le plan de la représentativité des membres du conseil d'administration, qui n'agissent maintenant que pour eux-mêmes, d'où, en l'instance, leur précipitation douteuse. 

Auparavant, le Barreau du Québec était caractérisé par une représentativité avec de réels ancrages à travers toutes les régions de la province, via les conseils de section. Ce modèle était source de cohésion et apportait représentativité et légitimité aux instances décisionnelles de l'institution.

À titre d'exemple, le comité exécutif était de facto composé des bâtonniers des villes de Montréal et de Québec (et de représentants de l'Association des avocats et avocates de province), tandis que le conseil général comprenait les bâtonniers des quinze sections du Québec et plusieurs membres des conseils de Montréal et de Québec, vu leurs effectifs nombreux au Barreau. Ces bâtonniers étaient délégués par leur conseil de section respectif, qu'ils présidaient et à qui ils étaient redevables. 

De ce fait, il y avait des consultations élargies au sein des conseils de section avant la tenue des réunions des instances du Barreau du Québec et l'agenda des enjeux à débattre était connu à l'avance.

Or, sous prétexte de favoriser l'« indépendance » des membres du conseil d'administration, voilà que la nouvelle gouvernance de la loi 17 rompt avec les attaches passées aux conseils locaux et fait en sorte que le Barreau soit dirigé comme une entreprise privée, ce qu'il n'est pas, car il s'agit d'une corporation professionnelle qui joue un rôle sociétal.

Mais il y a plus. Voilà que seul le poste de bâtonnier du Québec est maintenant soumis au vote universel des 25 000 membres. Les membres du conseil d'administration, eux, ne sont élus que par un vote sectoriel de certaines régions. Dans l'état actuel des choses, certains membres du C.A. ne sont soumis qu'au suffrage d'un bassin limité de membres (ce qui peut être aussi peu que 1010 membres du Barreau), tandis que la bâtonnière est élue par un bassin de 25 000 membres. Par exemple, l'un des vice-présidents actuels du Barreau fut élu avec seulement 670 voix alors que la bâtonnière en a reçu 6539. Peut-on parler de légitimé réelle pour suspendre cette dernière de façon unilatérale ?

LE BARREAU, UN CLUB PRIVÉ ?

Un autre élément donne l'impression que le Barreau sera mené comme un club privé. Voilà que pour la première fois, le candidat au poste de bâtonnier du Québec devra avoir été membre du conseil d'administration du Barreau pendant au moins une année, une restriction qui n'existait pas dans le passé. Jadis, tout membre du Barreau pouvait se présenter à la vice-présidence qui menait alors au bâtonnat.

Au moment d'annoncer cette nouvelle gouvernance, en novembre 2014, le bâtonnier Bernard Synnott déclarait : « Je crois fermement que ces caractéristiques permettront de donner à l'Ordre une meilleure cohérence institutionnelle et une structure plus agile, en plus d'accroître la confiance des citoyens dans le système professionnel. » À la lumière des récents agissements intempestifs des membres du conseil d'administration à l'endroit de la bâtonnière du Québec, force est de constater que c'est l'inverse qui semble se produire.

Par le passé, avant de faire un geste aussi lourd de conséquences que celui de suspendre unilatéralement la plus haute dirigeante de l'Ordre, les membres du comité exécutif auraient consulté leurs conseils de section et agi avec moins de précipitation. Pour citer Euripide : « La précipitation ne comporte pas la justice... »

Il y a là matière à réflexion pour l'avenir du Barreau du Québec.