Gaétan Barrette propose de « normaliser » certains frais illégaux aux patients, sous prétexte que ces frais seraient acceptés par la population. Il fait ainsi fi de l'énorme recours collectif, piloté par le cabinet dont je fais partie, qui a été déposé contre lui en raison de la facturation illégale de frais aux patients en clinique médicale.

Il fait aussi abstraction d'un idéal qui date du début de notre système universel d'assurance maladie : la gratuité des soins. Il avalise enfin un système public à deux vitesses qui se dessinait tranquillement avec l'approbation implicite des autorités censées protéger la population : le ministère de la Santé, la Régie de l'assurance maladie du Québec et le Collège des médecins.

La notion de gratuité qui sous-tend notre régime public de santé n'est pas anodine. Elle est la seule à pouvoir garantir que les patients soient traités également, à maladie égale. Au Québec, nous connaissons les effets dévastateurs sur l'égalité devant l'accès aux soins publics dans le domaine de la radiologie. Des tests diagnostiques essentiels coûtent des centaines de dollars et plus aux patients, ce qui représente en réalité une façon pour ceux qui peuvent payer de ne pas avoir à attendre sur la liste du même médecin, à l'hôpital.

Or, à mesure que la pratique hors hôpital devient plus intéressante pour le médecin que la pratique à l'hôpital, les listes d'attente s'allongent. C'est en outre ce qui explique qu'au Québec nous ayons plus de radiologistes, plus d'appareils d'IRM et de scans, et plus de technologues qu'ailleurs au pays, mais aussi les listes d'attente publiques les plus longues. Pendant que la radiologiste voit ses patients dans sa clinique pour des actes non assurés, elle n'est pas à l'hôpital. Le ministre Barrette propose maintenant d'étendre ce modèle à l'ophtalmologie, la gastroentérologie, et, à vrai dire, à tout domaine où les médecins et cliniques estiment eux-mêmes qu'ils sont sous-rémunérés.

Les cliniques médicales et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) prétendent que les frais accessoires illégaux que facturent leurs membres puisent leur source dans le sous-financement des services médicaux hors hôpital. Si c'est le cas, il incombe à la FMSQ d'allouer les montants nécessaires. En attendant cet heureux jour, il est inacceptable qu'on autorise la facturation directe aux patients pour bonifier la rémunération des médecins. Cette pratique constituerait une double facturation, interdite au Québec depuis le début du régime en 1970.

Les médecins qui pratiquent en clinique se voient déjà octroyer des « frais de cabinet » pour compenser les frais d'exploitation de la clinique.

Par exemple, les ophtalmologistes ont reçu, dans leur rémunération moyenne de plus de 500 000 $ pour l'année 2011-2012, 72 000 $ en frais de cabinet, et cela avant même les augmentations récentes et en prenant en compte le fait que plusieurs ophtalmologistes pratiquent seulement à l'hôpital. Ainsi, s'il est vrai que certains actes ne bénéficient pas d'une majoration, c'est à la FMSQ de renégocier et non aux patients de payer. D'ailleurs, on n'entend pas les médecins se plaindre des actes dont le prix est surévalué...

La FMSQ gère elle-même l'enveloppe des médecins spécialistes. Elle pourrait donc facilement attribuer une partie des augmentations importantes qu'elle a récemment obtenues pour compenser les frais d'exploitation des cliniques en dehors de l'hôpital, si le véritable but de l'opération est l'accessibilité à ces services. Cependant, il pourrait aussi s'agir d'une stratégie de négociation pour obtenir encore plus d'argent public. Des gouttes ophtalmiques de prix dérisoire facturées à 40 $ par patient à raison de dizaines de patients par jour équivalent à des centaines de milliers de dollars par année par médecin, ce qui dépasse largement les frais d'exploitation des cliniques, même avec son équipement parfois dispendieux.

L'interdiction expresse de facturer des montants accessoires existe depuis la fin des années 1970. L'exception pour la « compensation » du coût des médicaments, c'est-à-dire pour leur remboursement, ne peut servir de porte arrière pour ce qu'on ne peut pas faire par la porte en avant.