Il y a plus de quarante ans, déjà, que je navigue dans les eaux tumultueuses du communautaire, et ce, à titre, de militant, d'administrateur ou de permanent. Le 1er mai, au seuil d'une semi-retraite, c'est le coeur rempli d'émotions que je me joindrai à la grande vague de grève des milliers de travailleurs et travailleuses de ce mouvement typiquement québécois. Oui, je marcherai avec beaucoup de fierté, mais j'aurai aussi la rage au coeur... et le feu ailleurs.

Ma fierté, c'est de voir enfin les groupes du communautaire se reconnaître et se respecter socialement en se donnant, pour la première fois en quarante ans, le droit à la grève. Le droit de continuer à faire oeuvre utile, mais dans de meilleures conditions, celles dont un peu tout le monde souhaiterait bénéficier.

Ainsi, dans un monde communautaire idéal, c'en serait vraiment fini de la précarité, des salaires ridicules, des horaires impossibles, de l'insécurité à tous les paliers, du misérabilisme ambiant et du lamento à longueur d'année pour obtenir des miettes de subvention. Une situation détestable à souhait, un esprit de cordonnier mal chaussé qui trouve ses sources dans les réflexes judéo-chrétiens dont a hérité ma génération.

Quant à ma rage, elle provient de ce que les comptables du Parti libéral, ivres d'austérité et dopés qu'ils sont par les sondages et la clameur populiste, ne semblent pas vouloir arrêter de sitôt leur carnage. Une véritable hécatombe qui se poursuit, et dans le sabrage des budgets de fonctionnement des groupes communautaires, et dans l'odieux et révoltant démantèlement des services publics de l'État. Un saccage tout à fait gratuit, inutile, au nom de cette fallacieuse idée d'austérité, qui pourrait nous coûter encore beaucoup plus cher que le virage ambulatoire raté de Lucien Bouchard et ses lucides, 20 ans plus tôt.

Personne ne dira le contraire, les milliers de groupes communautaires du Québec constituent une richesse humaine et sociale inestimable en matière de défense de droits et de services directs et indirects à la population. En revanche, il leur faudra apprendre à «scorer» politiquement s'ils veulent survivre aux lubies de privatisation des uns et à l'incurie sociale et politique des autres.

Ainsi, c'est bien d'occuper l'espace politique avec une loi telle la loi 112, la Loi visant à exclure la pauvreté et l'exclusion sociale, mais encore faudrait-il que le mouvement puisse compter sur plus d'élus pour rendre ce genre de lois applicables (dotées de mesures efficientes) et appliquées en toutes circonstances. Je parle ici des David, Massé, Khadir et autres Camil Bouchard (ex-PQ) de ce monde.

Quant aux fantasmes de privatisation de certains, j'en veux pour preuve le tandem Coiteux-Leitao, qui souhaitait il y a peu déménager dans la cour du communautaire des services issus de la première ligne de la Santé et des Services sociaux (CLSC et autres). Non, mais des fois! Déjà que les groupes s'arrachent le coeur à cause de la non-reconduction de programmes et des multiples coupes (logement social, prévention, garderies, toxicomanie, itinérance, etc.)...

Dans la foulée, on peut aussi certainement dénoncer les effets dramatiques du sous-financement chronique chez les groupes communautaires. Pensons par exemple aux 225 millions qui constituent le manque à gagner annuel des quelque 3000 organismes autonomes en Santé et Services sociaux de la province. Imaginez: cette somme fait à peine le cinquième du 1,2 milliard de dollars d'augmentation de salaire qu'on a si généreusement consenti aux médecins de la province. Quand on parle d'inégalité sociale...

Le 1er mai, je paraderai avec beaucoup de fierté, mais rempli d'une légitime colère. N'empêche, le mouvement communautaire étant la propriété du peuple québécois, et non celle des libéraux, je marcherai aussi avec l'espoir d'un vrai changement pour la génération qui suit.