À l'occasion d'une recherche sur le leadership exercé par le cardinal Jean-Claude Turcotte alors qu'il était archevêque de Montréal, j'ai eu le privilège d'interviewer longuement celui qui était alors responsable d'un vaste territoire comprenant plus d'un million et demi de fidèles répartis dans quelque 250 paroisses. Trois mots caractérisaient la vie de Jean-Claude Turcotte: foi, compassion et pragmatisme.

Foi en Jésus à qui il s'adressait tous les jours dans ses prières comme à un être vivant, et foi en son message, l'Évangile, qui était son guide dans sa vie spirituelle, dans ses décisions et dans ses prises de position.

Comme étudiant au Grand Séminaire de Montréal ou à l'Université catholique de Lille où il se familiarisa avec les mouvements les plus radicaux au sein de l'Église, il n'était pas intéressé par les débats théologiques, la crise des prêtres ouvriers ou l'analyse marxiste d'enjeux sociaux, mais bien par Jésus lui-même, sa personne, sa vie, son milieu, le contexte historique dans lequel s'étaient inscrits son action et son message. Toute sa vie, il crut profondément en la pertinence de l'Évangile dans le monde actuel. Il y référait constamment pour la recherche de solutions aux souffrances individuelles, aux inégalités sociales et aux grands conflits mondiaux alimentés par les guerres de religion. Ce qui m'amène au deuxième mot: compassion.

On peut affirmer que c'est la compassion pour les pauvres qui est à l'origine de la vocation sacerdotale de Jean-Claude Turcotte. Très jeune, il était déjà profondément préoccupé par le sort des personnes vulnérables. Il était né dans le quartier populaire de Villeray et avait grandi dans le village de Saint-Vincent-de-Paul. Deuxième enfant d'une famille de sept, il vécut le décès d'un de ses petits frères comme un drame absolu et, comme tous les membres de la famille, il en avait été dévasté.

Ordonné prêtre en 1959, il restera deux ans comme vicaire dans une paroisse située dans le quartier Villeray de son enfance avant de devenir aumônier auprès des Jeunesses ouvrières catholiques (JOC). Pendant quatre ans, il se donne corps et âme à sa mission, avant d'être envoyé en séjour d'études à l'Université catholique de Lille, reconnue pour son progressisme social.

À son retour, il est rattaché au diocèse comme aumônier auprès du Mouvement des travailleurs chrétiens. Ses supérieurs remarquent son énergie, son désir de servir et son pragmatisme. Il est mis à contribution pour s'occuper de différents dossiers problématiques, notamment le redressement des finances du diocèse. Il est fort en mathématiques, mais comme il ne connaît rien à la comptabilité, il n'hésite pas à demander de se faire expliquer la situation par des spécialistes avant d'agir.

Deux ans avant la visite annoncée du pape Jean-Paul II en 1984, on pense à lui pour planifier les événements. Il accepte, mais là encore, il demandera conseil. Grâce à sa force de persuasion, il convainc ingénieurs, gestionnaires, syndicats, corps de police, relationnistes, publicitaires et producteurs de spectacles de faire bénévolement partie d'équipes qu'il constitue pour chaque activité de la visite. Cette dernière, gérée au quart de tour sous sa gouverne, connaîtra un succès retentissant.

Lorsqu'il est nommé archevêque en 1990, il optera pour un leadership de service toujours marqué par sa foi profonde en Jésus-Christ, sa compassion pour les pauvres et son pragmatisme à toute épreuve, guidé par un seul principe: dans toute décision, il faut considérer l'aspect humain avant tout. Avec l'aide discrète de conseillers en relations publiques, il a mis au service de nombreuses causes ses grandes habiletés de communicateur.

Jean-Claude Turcotte fut un prêtre authentique, un défenseur des pauvres et un gestionnaire hors pair.