L'été dernier, le pape en avait surpris plusieurs en appelant à une action globale contre le groupe armé État islamique (EI), expliquant que le monde devait mettre un terme aux actions de l'agresseur et que pour ce faire, il pourrait falloir recourir à la force, à condition qu'une telle décision émane des Nations unies. Une telle action, selon lui, était légitime.

Lors du deuxième anniversaire de l'élection du pape François, le Vatican s'est fait beaucoup plus explicite: le monde devait unir ses forces pour mettre fin au génocide perpétré par l'EI. On ne se pardonnerait jamais d'avoir laissé se dérouler une telle tragédie. Certaines autorités du Vatican, à l'instar de la coalition actuelle, ont insisté pour dire que l'action ne pouvait se contenter d'une contribution occidentale, mais que la contribution d'États musulmans du Moyen-Orient était indispensable, le tout sous l'égide des Nations unies.

Que ce soit la première fois que le Vatican endosse une intervention militaire est déjà une évolution extraordinaire; en quelque sorte, c'est l'adhésion du pontife au concept de la responsabilité de protéger. Il est clair que pour le Vatican, il n'y a aucun espoir de conciliation ou de négociations avec l'EI. C'est d'autant plus intéressant qu'avec les conflits en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, ou encore le terrorisme religieux de Boko Haram au Nigeria, la responsabilité de protéger en a pris pour son grade et même devant l'EI, la coalition ne s'inspire guère du concept.

C'est comme si cette admirable idée endossée par le sommet des Nations unies de 2005 était déjà tombée en désuétude avant d'avoir été véritablement mise en oeuvre. De fait, bien que la résolution 2178 des Nations unies sur l'EI ait été adoptée à l'unanimité, la coalition mise sur pied par les États-Unis n'émanait pas de l'ONU. Autrement dit, hormis le Vatican, aucun pays n'a mis de l'avant le concept d'une intervention militaire globale, excluant bien entendu l'appel du président égyptien, le général Sissi, en faveur d'une révolution religieuse contre l'EI.

Une guerre de religion?

Personne ne peut mettre en doute la haute intégrité morale de la position du Saint-Siège et son statut d'observateur permanent auprès de l'ONU lui permet d'exprimer une opinion sur les grandes crises, surtout quand il s'agit de mettre en exergue le rôle de l'organisation mondiale. Mais pour l'EI, cet appel de la plus haute instance religieuse dans la chrétienté ne peut qu'être interprété comme une invitation à une nouvelle guerre de religion, à une croisade contre l'islam, une fois de plus à une attaque de l'Occident contre le monde musulman.

Comme le groupe État islamique récuse les fondements de la gouvernance multilatérale mondiale et que bon nombre d'États arabes - même s'ils appartiennent aux Nations unies - n'ont pour l'organisation et ses membres occidentaux qu'un respect mitigé en raison, entre autres, de la prodigieuse faillite du processus de paix au Moyen-Orient, l'unanimité ou la forte majorité qui pourrait se dégager à l'ONU en faveur d'une action militaire globale risquerait fort de faciliter le recrutement d'autres adeptes par l'EI. Ce dernier aurait beau jeu de dénoncer une «croisade judéo-chrétienne».

Comme les forces chiites sont avec les peshmerga les principaux adversaires de l'EI sur le terrain, ce dernier peut jouer sur le sentiment d'un état de siège chez les sunnites pour augmenter le nombre d'adhérents coreligionnaires, en plus des mercenaires «convertis» en provenance de l'Occident. C'est en ce sens que la contre-attaque irakienne pour reprendre Tikrit et éventuellement Mossoul est pratiquement moins importante sur le plan de l'enjeu que pour la manière dont les combats se dérouleront. Si les milices chiites commettent des exactions contre les sunnites majoritaires dans les deux villes, le recrutement par l'EI connaîtra une remontée massive. L'appel du pape François, si noble et si courageux, pourrait bien n'être qu'un gros pavé dans une mare déjà fangeuse, un bourbier militaire et géopolitique dont personne ne sortira gagnant.