Nous quatre savons très certainement l'énormité de la responsabilité de protéger le Canada, tâche qu'un premier ministre a toujours en tête. Nous joignons nos voix à celles de 18 autres Canadiens et Canadiennes qui ont servi comme juges à la Cour suprême du Canada, ministres de la Justice et de la Sécurité publique, procureurs généraux, membres du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et commissaires chargés de surveiller la GRC et de faire respecter les lois sur la vie privée.

Dans nos différents rôles de charge publique, nous avons tous été confrontés et avons répondu à une série de préoccupations urgentes en matière de sécurité. Nous convenons tous et toutes que la protection du public est une des plus importantes fonctions du gouvernement et que les agences de sécurité nationale du Canada jouent un rôle vital à ce niveau.

Cependant, nous sommes tous et toutes également d'avis que l'absence d'un mécanisme efficace et complet d'examen des agences de sécurité nationale du Canada fait en sorte qu'il est difficile d'évaluer de manière significative l'efficacité et la légalité des activités de ces agences. Ceci soulève d'importants problèmes de protection du public et des droits de la personne.

Une proposition détaillée de création d'un mécanisme complet de reddition de compte a été élaborée il y a presque une dizaine d'années par le juge Dennis O'Connor dans le cadre des recommandations de la Commission d'enquête relativement à Maher Arar. Cette commission avait pour mandat d'examiner le rôle des agences canadiennes de sécurité nationale dans le renvoi vers la torture d'un citoyen canadien innocent. La mise en place des recommandations du juge O'Connor, ainsi que la réponse aux appels répétés des organismes de surveillance pour élargir le pouvoir de procéder à des examens de toutes les agences, se font toujours attendre.

Pendant ce temps, les efforts visant à renforcer le contrôle parlementaire des agences de sécurité nationale ont également été infructueux. Par exemple, en octobre 2004, un rapport appelant à un contrôle parlementaire des activités de sécurité nationale a été présenté au ministre de la Sécurité publique ; ce rapport proposait un modèle de contrôle appuyé unanimement par les représentants de tous les partis. Un projet de loi a été déposé, mais il est mort au feuilleton à cause de l'élection subséquente.

Dans un contexte l'échange de renseignements au niveau international est de plus en plus courant, et les pouvoirs des agences de renseignement et d'application de la loi de plus en plus grands, le Canada a plus que jamais besoin de ces mécanismes d'examen.

Un mécanisme d'examen est primordial pour la protection des droits de la personne

Les objectifs de protection des droits de la personne et de maintien de la sécurité publique sont complémentaires, mais il a été démontré que d'importantes violations de droits de la personne peuvent être commises au nom de la sécurité nationale. Compte tenu du secret qui entoure les activités de sécurité nationale, des violations de droit peuvent ne pas être relevées et demeurer sans recours.

Ceci a non seulement des conséquences dévastatrices au niveau personnel pour les individus concernés - comme nous l'avons vu dans le cas de Maher Arar et d'autres - , mais aussi un impact extrêmement négatif sur la réputation du Canada en tant qu'État de droit.

Un système efficace d'examen diminue le risque de violations de droits, met fin aux violations lorsqu'elles sont identifiées, et offre un mécanisme de redressement des violations qui se sont produites. Au cours des années qui ont suivi l'enquête Arar, des experts internationaux en droits de la personne - y compris le Comité contre la torture des Nations Unies - ont demandé au Canada d'améliorer le mécanisme de surveillance de ses agences de sécurité nationale.

Un mécanisme d'examen améliore la sécurité

En raison de la nature confidentielle des activités de sécurité nationale, il est plus difficile de se fier aux mécanismes habituels d'examen des activités gouvernementales, tel que l'examen par le Parlement, la société civile, les médias et le public en général. Les instances d'examen détenant une habilitation de sécurité jouent un rôle essentiel pour détecter et corriger des problèmes opérationnels et structurels avant qu'ils ne se transforment en failles majeures de sécurité nationale, ce qui a pour conséquence d'améliorer la sécurité au Canada.

Un mécanisme d'examen est essentiel pour la gouvernance démocratique

L'imputabilité est essentielle à la confiance du public, en particulier lorsque les actions du gouvernement sont entourées de secret. Un système indépendant de freins et de contrepoids garantit que les activités de sécurité nationale protègent le public et non seulement le gouvernement au pouvoir. Un mécanisme d'examen est nécessaire pour s'assurer que les agences exercent leurs pouvoirs dans le respect de la loi et que les représentants du gouvernement ne posent pas des gestes qui puissent les exposer ou exposer le Canada à des poursuites judiciaires, ici ou à l'étranger.

Ont signé cette lettre:



Le très honorable Jean Chrétien, premier ministre du Canada (1993-2003), ministre de la Justice (1980-1982)

Le très honorable Joe Clark, premier ministre du Canada (1979-1980), ministre de la Justice (1988-1989)

Le très honorable Paul Martin, premier ministre du Canada (2003-06)

Le très honorable John Turner, premier ministre du Canada (1984), ministre de la Justice (1968-1972)

L'honorable Louise Arbour, juge de la Cour suprême du Canada (1999-2004)

L'honorable Michel Bastarache, juge de la Cour suprême du Canada (1997-2008)

L'honorable Ian Binnie, juge de la Cour suprême du Canada (1998-2011)

L'honorable Claire L'Heureux-Dubé, juge de la Cour suprême du Canada (1987-2002)

L'honorable John Major, juge de la Cour suprême du Canada (1992-2005)

L'honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice (2003-06)

L'honorable Marc Lalonde, ministre de la Justice (1978-1979)

L'honorable Anne McLellan, ministre de la Justice (1997-2002), ministre de la Sécurité publique (2003-06)

L'honorable Warren Allmand, Solliciteur général du Canada (1972-1976)

L'honorable Jean-Jacques Blais, Solliciteur général du Canada (1978-1979)

L'honorable Wayne Easter, Solliciteur général du Canada (2002-03)

L'honorable Lawrence MacAulay, Solliciteur général du Canada (1998-2002)

L'honorable Frances Lankin, membre, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (2009-14)

L'honorable Bob Rae, membre, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (1998-2003)

L'honorable Roy Romanow, membre, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (2003-08)

Shirley Heafey, présidente, Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (1997-2005)

Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée du Canada (2003-2013)

Chantal Bernier, commissaire à la protection de la vie privée du Canada par intérim (2013-2014)