Les organisations patronales, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) en tête, réussissent à imposer durablement des enjeux au sein du débat public qui relèvent pourtant, parfois, d'une mystification fascinante.

L'actuelle commission parlementaire sur une réforme de l'immigration au Québec nous en offre un bel exemple. Toutes les organisations patronales ont défilé en soulevant le même enjeu: la pénurie de main-d'oeuvre. Or, comme l'affirmait avec justesse un analyste du ministère de l'Emploi au sein de l'édition du Devoir du 31 janvier dernier «: Comment peut-on parler de pénurie de main-d'oeuvre alors qu'on a encore 360 000 chômeurs au Québec?»

Bien sûr, il existe une rareté de main-d'oeuvre pour certains emplois dans certains secteurs ciblés au sein de certaines régions. Toutefois, c'est davantage par une meilleure adéquation des programmes de formation professionnelle et technique et une hausse marquée de l'offre de formation continue que par une hausse tous azimuts des niveaux d'immigration qu'on s'attaquera au problème.

Il y a une quinzaine d'années, les organisations patronales avaient réussi le même tour de force en évoquant le péril de l'exode des cerveaux. Les porte-parole du milieu des affaires prétendaient alors que l'exode des cerveaux avait atteint une cadence inquiétante, voire alarmante, et que le niveau élevé des taxes au Canada était l'une des causes principales du phénomène. Les études de Statistique Canada ont depuis démontré, année après année, que l'exode des cerveaux relevait en grande partie du mythe.

À peu près au même moment, la même chose s'est produite avec la campagne d'autopromotion des partenariats public-privé (PPP). À l'époque, personne n'était alors en mesure d'expliquer comment un partenaire privé, empruntant à des taux systématiquement plus élevés qu'un gouvernement, pouvait développer et financer une infrastructure de qualité égale à un meilleur coût que le secteur public. De même, personne n'avait réussi de façon convaincante à nous exposer comment le jeu de la concurrence pouvait réellement jouer alors que l'ampleur de nombreux projets de PPP font en sorte que ceux-ci ne peuvent être réalisés que par une poignée de consortiums.

Peu importe, en vertu d'une véritable profession de foi, il nous fallait alors croire le message, et ce, malgré les nombreux problèmes rencontrés ailleurs en Occident. Pire, ceux qui osaient s'aventurer à critiquer cette méthode, le mouvement syndical en tête, se faisaient taxer de tous les noms: réfractaires au changement; champion du statu quo; dinosaures corporatistes et j'en passe. Or, une dizaine d'années plus tard, devant l'échec de l'Agence des PPP, du scandale de l'îlot Voyageur de l'UQAM, de la fraude incommensurable du Centre de santé de l'Université McGill (CSUM), des problèmes récurrents du CHUM, des nouveaux CHSLD, force est de constater que ces problèmes proviennent des fondements mêmes des PPP et que bon nombre des critiques exposées alors étaient fondées.

Comment le milieu des affaires réussit-il à imposer au sein des préoccupations publiques de nos gouvernements des enjeux qui, au mieux, relèvent de l'exagération, et au pire, de chimères? La question est particulièrement intriguante. Est-ce la simplicité outrancière de leurs constats ou l'apparence de «gros bon sens» de leurs propositions qui font mouche? Peut-être est-il temps de chercher aussi du côté du contrôle de la presse par quelques grandes entreprises.