L'unanimité demeure toujours totale, au Québec et ailleurs, chez les chroniqueurs et observateurs qui commentent les événements survenus dans la salle de rédaction du Charlie Hebdo le 7 janvier dernier. Tout le monde est d'accord: une condamnation sans appel des auteurs de ces actes de barbarie.

Dans la rue, on n'a pas encore trouvé le nom pour décrire cette manifestation euphorique à l'échelle de la planète où plusieurs millions de citoyens ont marché et twitté dans une solidarité traversant toutes les barrières sociales. Du jamais vu! Ce front commun qui marchait sur les Champs Élysées et l'avenue McGill College était cimenté par deux convictions: la liberté d'expression et le rejet de la violence associée au terrorisme. Bravo!

Maintenant que les sept millions de copies du Charlie Hebdo ont été distribuées et lues, nous devons éviter que pareil événement ne se reproduise. Voici trois pistes de réflexion.

1 - La liberté d'expression ne doit pas être réservée à certains privilégiés

En France, 69 personnes ont été arrêtées la semaine dernière pour apologie du terrorisme et Le Monde recensait plus de 70 cas d'accusation. Les juges français ont le pied pesant sur la pédale de la sentence en donnant des peines de 6 à 12 mois. Ainsi, un Ardennais en état d'ébriété a écopé de 15 mois de prison ferme pour s'en être pris aux forces de l'ordre: «Vos bâtards de collègues de Paris. C'est bien fait pour leur gueule...» Un adolescent de 16 ans a été placé en garde à vue après la publication d'un dessin controversé sur sa page Facebook.

La loi du 13 novembre 2014 décrit l'utilisation de l'internet comme une situation aggravante pour le délit d'apologie de la violence. (La peine maximale peut alors passer de 5 à 7 ans de prison...) Cette course aux sorcières terroristes rappelle un peu la Loi des mesures de guerre de 1970. La Ligue des droits de l'homme, Amnistie internationale et d'autres demandent à la France, patrie de la Liberté, de se réserver une petite gêne en matière de condamnation à la liberté d'expression.

2 - L'humour a-t-il tous les droits? 

La presse n'a pas beaucoup parlé de la déclaration du pape François qui soulignait qu'on ne doit pas insulter la foi des autres... Ce n'est pas dans le discours du jour. Il faut dénoncer avec la plus grande vigueur le comportement des intégristes et de leur violence. Mais est-ce nécessaire de revenir constamment sur l'image de Mahomet, sachant que l'on blesse ainsi 1,7 milliard de personnes? Le directeur de Charlie Hebdo dit se battre pour la liberté de religion. Mais peut-on tourner en ridicule les excès des intolérants religieux en ciblant ces derniers sans heurter de front 23% de l'humanité? La liberté d'expression ne s'arrête-t-elle qu'aux seules frontières de la diffamation et de l'incitation à la haine? N'y aurait-il pas d'autres terrains qui commandent, dans une société pluraliste, un certain respect des valeurs de l'Autre?

3 - Le défi de l'intégration des jeunes des minorités

Ne devrait-on pas réfléchir au défi de l'intégration des jeunes appartenant à des minorités qui trouvent dans certaines causes l'élément pour mobiliser leur désespoir? Les trois jeunes meurtriers étaient tous Français, étaient nés et avaient grandi en France. Des milliers de jeunes arabes s'identifient aussi à «Charlie Coulibaly»...

Il est difficile de vaincre le terrorisme sur le terrain militaire. Il faut amorcer une analyse des sources à l'origine de cet engagement. Mais, dans la classe politique, on ne parle que des mesures de renforcement de la sécurité des salles de rédaction, des temples, des lieux publics. Sur le plan électoral, cette assurance rapporte... à court terme, du moins. Voilà pourquoi on ne stoppera pas la croissance des fouilles et des détecteurs de métal. Mais pourquoi ne pas investir un budget égal pour amorcer un dialogue avec des personnes qui pourraient exprimer leurs préoccupations autrement qu'avec des kalachnikovs?