Soudainement, tout le monde devient un spécialiste de l'islam. Jamais je n'aurais cru connaître autant de juristes de la liberté d'expression. Lorsque les regards se tournent vers moi, d'abord subtils puis de plus en plus insistants, jusqu'à ce qu'une langue bien trop pendue me demande «Et toi Ikram, pourquoi tu ne condamnes pas ces gestes?», je balbutie. Moi? Je deviens nerveuse, je m'enfarge.

Dans ma tête, c'est le chaos total. Je ne veux pas faire partie de ce débat. On m'a appris que le plus sage des sages est celui qui s'abstient de répondre lorsqu'il ne détient pas la vérité. Cependant, dans ce jeu maudit, je n'ai pas vraiment le choix. Je me tourne vers mon interlocuteur. À vrai dire, je n'ai pas compris la question. Que dois-je condamner: l'horreur, la terreur, le meurtre? Il va de soi de condamner cette violence immonde que rien, absolument RIEN ne saurait justifier. Non, ce n'est pas ce que mon interlocuteur désire: il me demande de condamner l'islam.

Où sont les musulmans? Pourquoi ne condamnent-ils pas ce geste? J'ai conscience que mes prochains mots ne seront pas pris à la légère. La sueur perle mon front. Fini l'insouciance de la jeunesse qui excusait autrefois les maladresses. Les organisations musulmanes du monde entier qui représentent l'islam ont beau condamner ces gestes, ce n'est pas assez. Désormais, chaque musulman devient le porte-parole de tous les musulmans, y compris des fous et des meurtriers. Je n'ai jamais demandé à devenir la porte-parole des musulmans. Personne ne m'a enseigné comment porter le poids de 1,6 milliard de personnes sur mes épaules. Je ne suis pas prophète.

Je me confonds en excuses, non certaine de quoi réellement. Je m'excuse, car c'est ce que les gens attendent de moi. Parce que c'est la chose «normale» à faire lorsque tu es musulmane et que tu ne veux pas te faire associer aux terroristes, pour prouver que tu n'es pas dangereuse. J'aurais souhaité ne pas avoir à m'excuser, mais le silence aurait fait de moi une coupable par association.

Une immense tristesse m'envahit lorsque je réalise la perte de mon individualisme et de mon humanité. Comme l'explique remarquablement bien Javari Akbar, journaliste au magazine Vibe: «J'irais aux marches de solidarité pour les victimes non pas parce qu'il est de mon devoir, en tant que musulmane, de prouver à la Terre entière que nous ne sommes pas complices de ces meurtres et de ces terroristes, mais plutôt parce que je suis un être humain qui éprouve de la compassion pour les personnes blessées.»

UNE ASSOCIATION ABSURDE

Nous, Québécois, devons-nous nous excuser auprès de l'humanité entière pour les gestes de nos individus dérangés tels Guy Turcotte ou Luka Rocco Magnotta? Ce serait aussi absurde que les individus qui s'attendent à ce que tous les musulmans s'excusent pour des individus qui n'ont rien avoir avec l'islam ou les paroles des prophètes.

Plus encore, je refuse cette affiliation implicite avec les terroristes. Quel innocent s'excuserait pour des actes qu'il n'a pas commis?

Au final, ça revient au même: coupables de ne pas s'être excusés et coupables de s'excuser, tous les musulmans sont coupables. Je refuse que le meurtre de ces journalistes soit attribué à l'islam et, par conséquent, à ma famille et moi. Les musulmans font face à une impasse dont je n'arrive pas à trouver l'issue.

Je veux pouvoir m'impliquer et combattre cet intégrisme parce que je crois que ce type de geste est une entrave à la paix et aux libertés individuelles. Toutefois, j'ai du mal à concevoir comment neutraliser cet intégrisme si on est incapable de différencier les musulmans de ces êtres immondes, sans aucune humanité. Finalement, s'il y a bien quelqu'un qui doit avoir peur de ces fous, c'est bien moi, la musulmane québécoise qui va à l'école et qui conduit.