Nous sommes en 1952. Un jeune homme, cheveux foncés, fortement charpenté, est étendu sur son lit, livre à la main, cigare au bec, bras musclé en vue. On le devine catholique: le Sacré-Coeur, accompagné de deux adultes (ses parents?), veille sur lui. On le sait sportif, car un trophée trône sur la commode à côté de lui. Il porte un anneau à l'annulaire: s'il n'est pas marié, il le sera bientôt. Ce jeune homme mêle des images contradictoires: l'intellectuel et le sportif, le traditionaliste et l'esprit libre. Cela le distingue parmi ses semblables.

Soixante ans plus tard, le même homme a délaissé le cigare pour le flambeau, qu'il passe à un enfant. L'un et l'autre portent le numéro 4. Chevelure blanche, maillot rouge du capitaine de l'équipe, port de prince, celui qui pourrait être le grand-père de l'autre, voire son arrière-grand-père, incarne désormais une vision patrimoniale de son sport, le hockey. Ce qu'il remet à l'enfant, ce n'est pas simplement un objet: c'est un héritage, celui des Canadiens de Montréal. Cet homme, bague de la coupe Stanley au doigt, représente l'histoire glorieuse de son équipe, une histoire qu'il confie aux jeunes générations. Comme le dit une phrase inscrite sur le mur du vestiaire de son équipe: «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut.»

Le rebelle a cédé le pas à la figure tutélaire. Il n'y a pas un seul Jean Béliveau, mais plusieurs. On les pleurera.