Une ancienne étudiante en droit sait que je m'intéresse aux questions du genre, d'égalité et des droits fondamentaux. Que pensez-vous, me demande-t-elle, de la campagne #AgressionNonDénoncée et des événements reliés ? C'est compliqué, je lui réponds. Nous nous entendons : il s'agit d'un sujet délicat à aborder et un débat de société s'impose. Avouons que les enjeux dépassent de loin le ressort des avocats. Essayons de placer quelques jalons d'analyse et de faire quelques distinctions cruciales.

Se réjouir que les femmes brisent le silence n'équivaut pas à dire que tous les silences sont les mêmes. Tous les gestes de briser le silence ne le sont pas non plus. Une gamme de comportements inacceptables peut découler de l'appareil du pouvoir masculin. Les gestes qui disent aux femmes qu'elles sont de second rang dans un lieu de travail ont cela en commun.

Toutefois, il y a des distinctions à tracer entre le harcèlement et le viol. Dire que plusieurs sont coupables, ce n'est pas dire qu'il n'y a pas de degrés de culpabilité. Certains reportages passent de l'un à l'autre, sans en souligner les différences. On a tort de le faire. Cela risque de banaliser les méfaits les plus graves.

Il y a aussi plusieurs façons de briser le silence. Se déclarer, à haute voix, avoir été la victime de harcèlement ou du viol est une chose. Ce geste aide à nous sensibiliser. Il amoindrit la honte que les victimes peuvent injustement éprouver. Il dit aux autres qu'elles ne sont pas seules.

Déposer une plainte auprès d'un employeur ou de la police est autre chose. Formaliser les choses ainsi permet à ceux qui détiennent l'autorité d'enclencher des enquêtes. Ils n'en ont autrement pas le droit. C'est ce que nous dit la gestion de la CBC dans l'affaire Ghomeshi. Les autorités à la Chambre des communes insistent sur la même chose, à juste titre. Admettons que, trop souvent par le passé, et encore de nos jours, les autorités qui ont reçu de telles plaintes ne les ont pas pris suffisamment au sérieux, voire les ont supprimées.

La présomption d'innocence

Garder son anonymat tout en nommant publiquement l'auteur présumé de harcèlement ou d'une agression sexuelle, par l'internet ou d'autres moyens, est autre chose encore. Reconnaissons les multiples pressions qui pèsent contre les dénonciations selon les avenues officielles. Convenons que les plaintes peuvent échouer, faute de la preuve. Il est quand même sérieux de dénoncer quelqu'un et de le nommer, sans que celui-ci puisse bénéficier de quelque procédure que ce soit. La présomption d'innocence a-t-elle abrité les hommes puissants des conséquences de leurs actions ? Reste que nous nous en débarrasser, c'est basculer nos principes les plus fondamentaux en matière de la justice.

Il ne faut pas présumer non plus que les dénonciatrices demeureront à l'abri des poursuites en diffamation. On est moins anonyme que l'on croit.

Un constat s'impose. Les femmes qui se disent victimes de harcèlement et d'agression sexuelle n'affichent pas une grande confiance dans les enquêtes dans les lieux de travail et dans celles menées par la police. C'est là l'explication du fait que les présumées victimes de Ghomeshi se sont confiées au journaliste du Toronto Star plutôt qu'à la police.

Ce n'est pas seulement le silence qui est désormais brisé. Nos systèmes le sont aussi. Ce problème interpelle le système de la justice. Il interpelle aussi les gens d'autres domaines, dont la gestion, les ressources humaines et l'éducation. Essayons de discuter de ces questions en respectant la dignité et le droit à l'égalité de tous et de toutes.