Comme chaque année en ce 11 novembre, devant mes élèves de 4e secondaire, je prendrai quelques minutes pour expliquer la signification du coquelicot qui est épinglé à mon veston. Leurs questions seront nombreuses et pertinentes, mais je devrai me restreindre à quelques brèves réponses, pressé que je serai par les contraintes fixées par un programme d'étude qui passe pratiquement sous silence la participation canadienne aux grands conflits armés qui ont modelé le monde actuel.

Cette quasi-absence de l'histoire militaire dans nos programmes d'étude n'est pas nouvelle. Déjà, avant l'implantation des nouveaux programmes en 2007, l'histoire des grands conflits mondiaux était le parent pauvre de l'enseignement de l'histoire au secondaire. Le fameux renouveau pédagogique n'a fait que confirmer cet état de fait.

Pourquoi donc, au Québec, dans notre mémoire collective et dans nos programmes scolaires, a-t-on marginalisé notre passé militaire? Comment se fait-il que de nombreux Québécois fassent preuve d'une indifférence et d'une ignorance désolante sur un sujet qui devrait plutôt leur inspirer fierté et reconnaissance?

Les réponses à ces questions sont assurément multiples et complexes, mais le discours nationaliste dominant dans notre historiographie depuis la Révolution tranquille n'est pas étranger à cette situation. En effet, depuis plus d'un demi-siècle, peu nombreux sont les historiens qui se sont penchés sur la participation des Québécois aux grands conflits du XXe siècle. Et ceux qui l'ont fait ont surtout insisté sur les crises que l'imposition de la conscription a provoquées en 1917 et en 1944.

Il ne faut évidemment pas nier les déchirements provoqués par l'adoption par le gouvernement canadien de mesures sur le service militaire obligatoire outre-mer. Cependant, par souci d'exactitude historique, Il faut rappeler que lors de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, c'est plus de 90 000 Québécois qui se sont portés volontaires pour combattre la barbarie nazie.*

Ce n'est donc pas tant par un choix volontaire que les Québécois connaissent peu ou mal leur histoire militaire, mais plutôt parce qu'il a été plus commode, pour une certaine élite nationaliste, d'occulter de notre mémoire nationale la participation de milliers de Québécois aux efforts de guerre du Canada, une position beaucoup plus rentable politiquement. Ainsi, les Québécois ont été présentés comme des victimes (encore une fois!), plutôt que comme les héros véritables qu'ils furent, particulièrement lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette façon de voir est encore malheureusement largement partagée par de nombreux Québécois.

Alors que nous soulignons cette année le 100e anniversaire du début de la Première Guerre mondiale et le 70e anniversaire du débarquement de Normandie, je pense que le temps est venu, pour nous Québécois, de nous réconcilier avec notre passé militaire. Cette réconciliation passe bien sûr par le fait d'accorder une plus large place à l'histoire militaire dans nos programmes d'étude. Mais, plus largement, c'est l'ensemble de la société québécoise que je souhaite voir se réapproprier son passé militaire, non pas pour faire l'apologie des valeurs guerrières, mais par simple respect pour la mémoire de ceux qui ont pris part aux grands conflits armés du XXe siècle, y laissant parfois leur vie.

Chose certaine, aujourd'hui, pour ma part, je n'hésiterai pas à dire à mes jeunes élèves que nous n'avons pas à avoir honte du rôle que nous avons joué dans les guerres passées et que les vétérans québécois de l'armée canadienne méritent tout notre respect.

* Pierre Vennat, Les héros oubliés, Éditions

du Méridien, 1997