Au lendemain des événements de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa, les questions se bousculent pour tenter de comprendre comment deux jeunes Canadiens « ordinaires » ont pu commettre de tels actes.

La réponse se situe comme toujours au croisement de plusieurs pistes d'explication. S'il demeure difficile de tracer un profil type, les parcours de Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau ne sont pas sans rappeler ceux de nombreux autres jeunes d'ici ou d'outre-Atlantique.

Il y a chez eux un peu de Mohammed Merah, auteur des tueries de Toulouse et Montauban en 2012, un peu de Mehdi Nemmouche, auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles en mai dernier, un peu de Michael Adebolajo et Michael Adebowale, auteurs de l'attaque de Woolwich en 2013.

Tous ces parcours individuels s'avèrent marqués par des composantes communes. Derrière ces individus, il existe des chemins de vie « chaotiques ». Chaotiques sur le plan social comme en témoigne les antécédents criminels de Zehaf-Bibeau, ou sur le plan professionnel comme l'illustre l'échec entrepreneurial de Couture-Rouleau. Chaotiques sur le plan intime enfin, comme le démontrent parfois les divorces, les séparations ou les abandons familiaux. Tous ces éléments contribuent à rendre les individus fragiles socialement, disponibles à toutes sortes d'influences extérieures. Toutefois, tout individu socialement fragile ne deviendra pas nécessairement un terroriste en puissance.

S'ajoute le plus souvent une certaine fragilité psychologique. S'ils ne sont pas « fous » au sens clinique, les individus concernés s'avèrent psychologiquement vulnérables. Parfois mal dans leur peau, parfois naïfs, souvent immatures, ces individus seront d'autant plus ouverts, plus influençables dans leurs croyances. C'est sur ce terreau de la fragilité que pourra prendre racine la « graine djihadiste ».

Face à ce mal-être, la découverte d'un « islam bricolé » intervient souvent comme un remède spirituel. Découvrant l'islam par morceaux, de manière autodidacte par le biais de lectures sur le web, sous l'influence de connaissances amicales ou de figures charismatiques rencontrées par hasard, ces individus en quête de sens y trouvent un nouveau souffle, qui semble fournir les réponses nécessaires à leur mal-être et à leurs questionnements existentiels. Perçu comme un remède, cet islam bricolé auquel ils adhèrent désormais devient dès lors leur oxygène, une grille de lecture totalisante du monde par laquelle ils s'orientent.

Dans la majorité des cas, l'influence envahissante que prend cet islam fantasmé aux accents extrémistes conduit l'individu à rompre progressivement avec son entourage, à commencer par sa famille ou ses amis, qui voient d'un oeil tantôt inquiet, tantôt hostile cette dérive.

C'est au cours de cette phase que l'individu développe une lecture encore plus fantasmée encore plus radicale de l'islam. Il n'adhère pas à une religion, qu'il connait souvent mal, mais bien au fantasme idéologique djihadiste. Parfois entouré d'individus qui lui ressemblent ou se nourrissant abondamment de lectures puisées sur le web, l'individu finit par se convaincre de la justesse de la cause, au point de vouloir parfois passer à l'action violente. La graine djihadiste aura germé en lui.

Si l'internet joue aujourd'hui un rôle dans les trajectoires de ces individus, c'est avant tout parce qu'il contribue à nourrir cet imaginaire. Personne ne devient djihadiste par le seul effet du web et des réseaux sociaux. Ce que le web produit, c'est cet amalgame monstrueux entre conspirationnisme, croyance religieuse bricolée et idéologie contestataire vis-à-vis d'individus déjà prédisposés à croire le message auquel ils s'exposent.

Malheureusement, il y aura encore à l'avenir des Martin Couture-Rouleau et des Michael Zehaf-Bibeau. Si la prise en charge sécuritaire de ce phénomène a toute sa place dans une démocratie comme le Canada, elle ne peut pas tout faire. Parallèlement, il convient de mettre en place les outils de prévention visant à empêcher que la terreur ne puisse, un jour, prendre forme derrière un visage ordinaire.