Le Dr Barrette a contribué plus que n'importe qui à l'explosion des coûts de santé en négociant pour les médecins spécialistes des augmentations dont ils n'osaient pas rêver eux-mêmes. Une fois la job bien ficelée, il a empoché une grasse compensation de sortie et est entré en politique comme ministre pour «mettre de l'ordre dans le système». En gestionnaire lucide conscient des limites de ce système, il retrouve la mémoire et souligne la nécessité de se serrer la ceinture.

Pour éponger un déficit dont il a lui-même accru la gravité, il compte effectuer des coupes dramatiques, non pas dans le salaire exagéré des médecins, mais partout ailleurs. En fait, ces coupes serviront essentiellement à financer les augmentations de ses confrères, et ce n'est pas sa petite mise en scène gueularde où il fait passer pour un exploit l'étalement superficiel de salaires coulés dans le ciment qui gommera les effets récurrents de cette catastrophe. Comme comble de cynisme, c'est difficile de grimper plus haut.

Le bon Dr Bolduc, pour sa part, a profité sans aucun état d'âme des failles d'un système qu'il connaît à fond. Légalement, il ne peut être poursuivi, mais il s'est définitivement discrédité en jouant sur les mots et en garnissant son compte de banque avec de l'argent qu'il n'a pas gagné. Le comble de l'ironie, c'est qu'il soit titulaire du ministère de l'Éducation ; quel beau modèle d'égoïsme et d'abus de système à offrir à nos jeunes!

Le Dr Couillard, enfin, profitant de sa formation de spécialiste, essentiellement subventionnée par le système d'éducation du Québec, a préféré monnayer ses services à grands frais en Arabie saoudite pour profiter de paradis fiscaux avantageux au lieu de faire bénéficier la population du Québec de ses compétences. Là encore, il n'y a rien d'illégal à tourner le dos à la société qui l'a formé pour améliorer son sort, mais, moralement, son égocentrisme laisse planer un doute suffisamment important pour que l'on se questionne sur son jugement et sa capacité à prendre en compte de façon désintéressée les intérêts des Québécois.

Le plus incroyable dans ces exemples d'abus de système et de conflit d'intérêts est de constater qu'aucun de nos ministres nouvellement millionnaires ne semble avoir conscience de la gravité des dérapages éthiques dont ils se sont rendus coupables. Leur attitude d'enfant gâté qui considère comme légitimes des manoeuvres éthiquement intolérables aura un effet pédagogique très négatif à long terme sur notre société et déteindra inévitablement sur tout l'appareil gouvernemental. Beaucoup de petits futés auront maintenant la tentation d'imiter les «modèles de réussite» qui nous dirigent avec autant d'élasticité morale.

Cette nouvelle - ou très ancienne - manière, cynique et corporatiste, de gérer les fonds publics n'augure rien de bon pour l'avenir économique et social d'un Québec à bout de souffle qui doit désormais s'en remettre à des gestionnaires qui, les deux mains enfouies dans l'assiette à beurre, adoptent des comportements d'enfants-rois.