Extrait du livre L'affirmation identitaire du Canada: politique étrangère et nationalisme, publié cet automne aux éditions Athéna.

Il est devenu commun de lire et d'entendre, dans les écrits spécialisés, dans les médias et dans le discours politique que la politique étrangère canadienne du gouvernement de Stephen Harper est alignée directement sur celle de nos voisins américains. L'idée est si puissante que le premier ministre a souvent été comparé à un clone de l'ancien président américain George W. Bush. 

Les répercussions de cet alignement se font aujourd'hui sentir à l'échelle internationale. Alors que le Canada a été historiquement reconnu comme étant un arbitre neutre des conflits dans le monde, notre pays semble être davantage perçu de nos jours comme un simple pantin des Américains. Le Canada aurait perdu son âme qui le rendait auparavant si unique et apprécié de par le monde. À cet égard, l'échec qu'a connu le Canada en 2010 à obtenir un siège de membre non-permanent du Conseil de sécurité de l'ONU - une première dans l'histoire canadienne - a été présenté par plusieurs comme étant le résultat de ses liens trop incestueux avec Washington.

Il faut aussi comprendre que la question de l'alignement de la politique étrangère du Canada sur la politique étrangère étasunienne comporte des répercussions identitaires fort importantes. En effet, la politique étrangère est l'occasion pour un État d'affirmer les valeurs et principes spécifiques qui sont au coeur de son imaginaire collectif et d'être reconnu comme tel par les autres sociétés. Une relation de frères siamois contribue donc à effacer la différence identitaire entre nous et nos voisins du Sud. Dans pareille situation, le ciment identitaire qui détermine notre unicité collective semble vouloir s'évaporer.

Cette critique n'a rien de nouveau. Il est pertinent de rappeler que le philosophe canadien George Grant a publié en 1965 un livre intitulé Lament for a Nation qui traitait de la satellisation de l'État canadien par son puissant voisin américain. Bien qu'il ait fallu attendre 1988 pour voir ce livre être publié en français, l'ouvrage de Grant a eu une influence considérable dans le Canada anglais.

Évidemment, la crainte qu'avait Grant de voir disparaître la spécificité canadienne s'est révélée erronée. Au cours des 50 dernières années, le Canada a été en mesure de conserver une identité particulière qui a été soutenue et affirmée tant par le biais de ses politiques publiques domestiques qu'au travers de sa politique étrangère axée autour du multilatéralisme, de la concertation et du dialogue entre les nations, une approche préférée à l'unilatéralisme américain. Ce paradigme est connu dans la littérature sous l'appellation «d'internationalisme». À cet égard, les Casques bleus représentent très certainement la manifestation la plus tangible de la psyché collective canadienne, et ce, tant pour ses citoyens que pour le reste du monde. Dans les circonstances, il est aisé de comprendre le malaise qu'ont plusieurs de voir le Canada s'aligner sur les États-Unis.

Ma thèse est la suivante: contrairement à ce que l'on pourrait croire, le Canada n'a pas abandonné sa politique de maintien de la paix. Cette dernière a toutefois connu une évolution importante au cours des 20 dernières années et n'est plus articulée principalement autour de la figure du Casque bleu. Les nouvelles prémisses de ces opérations exigent des actions plus proactives qui impliquent souvent des interventions militaires coercitives. Or, cette nouvelle façon d'envisager le maintien de la paix n'a pas encore été acceptée par la population canadienne qui voit plutôt que la politique étrangère et de défense du pays a subi un important changement de paradigme. À mon sens, cette impression est fausse et exagérée. En fait, cette nouvelle conceptualisation des opérations de maintien de la paix et ses implications normatives offre d'incroyables possibilités d'affirmation identitaire pour le Canada: possibilités qui nous permettraient de réaffirmer ce qui est au coeur de notre spécificité collective.