La dynamique de la dernière ligne droite de la campagne a sans doute paru étrangement familière à de nombreux observateurs canadiens. À voir ainsi les leaders du Non improviser une contre-offensive face à la montée du camp du Oui, qui a réagi à chaud de façon tout aussi improvisée, on ne pouvait faire autrement que de songer à 1995. Mais si l'on évitera de tirer des conclusions hâtives sur le sens du vote écossais pour le Canada, une leçon s'impose.

On a observé, en Écosse, l'absence d'études fiables et indépendantes qui auraient fait contrepoids à certaines affirmations des chefs des deux camps sur des questions clés: coûts de la séparation, incidence sur la croissance économique, relations entre une Écosse indépendante et le reste du Royaume-Uni, sans même parler de l'adhésion à l'Union européenne. Rappelons à quel point chaque camp, ici, en 1995, était mal préparé à quelque éventualité que ce soit. Comme le confirme éloquemment la journaliste Chantal Hébert dans son dernier ouvrage, Confessions post-référendaires, aucun des chefs du Oui ou du Non n'avait la moindre idée de ce qu'il aurait fait en ce soir fatidique si 25 000 électeurs avaient voté différemment.

Près de 20 ans après ce quasi-choc, ceux d'entre nous qui misent sur un Canada uni auraient sans doute autant de mal à définir une approche face à un nouveau référendum. On a bien vu en février dernier une certaine panique gagner les leaders d'opinion fédéralistes, au Québec et ailleurs, soudain persuadés que la première ministre Pauline Marois se dirigeait vers une majorité et déconcertés par leur propre impréparation. Mais au lendemain de la défaite historique du Parti québécois, nous avons été trop nombreux à nous féliciter de voir notre «adversaire» au tapis et de pouvoir enfin revenir aux «vraies priorités». Or voici ma question: y a-t-il priorité plus grande et plus «vraie» pour un pays que de chercher à mieux se comprendre?

Le Canada ne cesse d'évoluer. Sur presque tous les plans, nous ne vivons plus dans le pays d'il y a quelques décennies. Notre économie s'est ouverte sur le monde et tire sa force de l'ensemble de nos régions et secteurs. Notre population est plus âgée, diversifiée et urbaine. Les relations fédérales-provinciales et interprovinciales se sont transformées. Mais plusieurs de nos défis clés demeurent les mêmes. L'un des partenaires fondateurs de la Confédération n'a toujours pas adhéré à la loi fondamentale du pays, nous restons confrontés aux aspirations des régions et tardons à régler les problèmes majeurs des peuples autochtones.

Le vacarme constitutionnel s'étant atténué au point de sembler inaudible, c'est précisément l'occasion de repenser les ententes et les institutions fédérales, et de mieux comprendre l'attitude de la population à l'égard de la fédération. Pour répondre aux attentes des Canadiens qui désirent réformer le Sénat, améliorer la situation des Autochtones, supprimer les barrières commerciales intérieures, définir une stratégie pancanadienne concernant l'énergie et les changements climatiques, reconnaître la spécificité de la nation québécoise au sein du Canada ou remédier à tout déséquilibre fiscal, nous devons relancer les recherches fondamentales interrompues il y a 20 ans faute de budgets et de volonté politique.

Pour obtenir des résultats, tous les gouvernements du pays doivent en faire une priorité et se mobiliser en conséquence. Il ne s'agit pas ici de «rouvrir» ou non la Constitution, mais d'en apprendre suffisamment sur nous-mêmes et notre pays pour trouver de véritables réponses aux épineuses questions que nous réserve l'avenir. En deux mots: «Fini l'improvisation!»