Nous entrons actuellement dans le début des célébrations marquant le 150e anniversaire de notre système politique fédéral. En effet, nos Pères fondateurs se réunissaient pour la première fois à pareille date en 1864 à Charlottetown afin de discuter de la structure étatique du pays à naître.

Or, s'il faut en croire l'interprétation qui domine chez les historiens et politologues québécois, il n'y aurait aucune raison de célébrer cet événement. Ce jugement négatif s'explique principalement par le fait que la fondation de l'État est perçue comme un simple bricolage hâtif qui a eu pour effet de fragiliser durablement l'ensemble constitutionnel canadien. C'est du moins la perception du sociologue Fernand Dumont pour qui «l'histoire de la Confédération est l'histoire de l'échec à édifier une communauté politique». Pour ce dernier, la raison principale de cet échec fut son incapacité à mettre en place un système fondé sur la reconnaissance et l'égalité entre les peuples canadien-français et canadien-anglais.

Aux yeux de Dumont, alors que nous aurions pu construire un État fier de sa différence et de sa convergence ethnoculturelles, le Canada s'est plutôt orienté dans une direction contraire. Ce «défaut initial de structure» n'a fait qu'alimenter au cours des 150 dernières années les récriminations des Québécois qui ont sans succès tenté à plusieurs reprises de refonder l'État canadien sur des bases qui seraient davantage conformes à sa réalité binationale.

L'historiographie québécoise insiste énormément autour de l'opposition manifestée à l'époque par Antoine-Aimé Dorion, le chef des Rouges du Canada-Est (Québec). Pour ce dernier, il ne faisait aucun doute que l'architecture institutionnelle n'allait pas permettre au Québec et à sa majorité canadienne-française d'affirmer pleinement sa différence ethnoculturelle. Pour lui, le système politique fédéral allait plutôt consacrer non seulement le statut minoritaire du Canada français, mais aussi donner à la majorité anglophone les moyens d'interférer dans les décisions collectives du Québec.

Dans ses différentes interventions contre le projet, Dorion insistait autour du fait que l'attribution du pouvoir résiduaire ainsi que des pouvoirs de désaveu et de réserve au gouvernement fédéral ainsi que le mode de sélection des sénateurs allaient rapidement transformer le système en une union législative. À cet égard, George-Étienne Cartier, qui dirigeait les Bleus du Canada-Est, est souvent perçu comme un traître ayant sacrifié la liberté collective des Canadiens français à de simples finalités personnelles.

Vivre ensemble

Cette manière de comprendre le fédéralisme canadien qui est propre à une majorité d'analystes a malheureusement pour conséquence de cacher la richesse des débats qui animaient les Pères fondateurs de l'époque. Contrairement à ce qui est généralement affirmé, ces derniers étaient influencés par une conception du vivre ensemble désireuse de reconnaître le caractère binational de l'État canadien. Cet idéal peut être compris et apprécié à la lumière des discours de George Brown qui était à l'époque le chef politique des Grits - le courant libéral du Canada-Ouest (Ontario) - ainsi que de ceux de Cartier.

L'analyse de leurs discours montre que leur conception du fédéralisme reposait sur le désir d'assurer la possibilité à chacune des composantes identitaires de s'autodéterminer librement dans les compétences essentielles à leur identité culturelle et, d'autre part, à empêcher que des décisions en viennent à porter atteinte aux droits des membres d'un des peuples fondateurs se trouvant sur le territoire où l'autre groupe forme la majorité. Pour ces Pères fondateurs, cet idéal du vivre ensemble avait pour conséquence de nourrir un sentiment d'appartenance envers le Canada: un sentiment parallèle et non concurrent aux identités communautaires.

Il est à espérer que les trois prochaines années permettront de réhabiliter cet idéal ainsi que l'apport de Cartier à la fondation du pays.