Il est temps que les États-Unis et les autres puissances laissent le Moyen-Orient se gouverner lui-même dans le respect de la souveraineté nationale et de la Charte des Nations unies.

Alors que les États-Unis mènent une nouvelle action militaire en Irak et envisagent une intervention en Syrie, ils devraient admettre deux vérités fondamentales:

- Les interventions américaines, qui ont coûté des milliers de vies et des milliers de milliards aux États-Unis au cours de la dernière décennie, ont systématiquement déstabilisé le Moyen-Orient et causé des souffrances humaines colossales dans les pays concernés;

- Les gouvernements des pays de la région (Syrie, Arabie saoudite, Turquie, Irak, Égypte et d'autres) ont les moyens et la motivation nécessaires pour parvenir à des accords. Ils n'avancent pas dans cette direction, car ils sont persuadés que les États-Unis ou une autre puissance extérieure (la Russie, par exemple) leur apportera la victoire sur un plateau.

Après des décennies d'interventions cyniques et souvent secrètes des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de la Russie et encore d'autres pays, les institutions politiques de la région sont gangrenées par la corruption, le sectarisme et la force brutale. Pourtant, à chaque nouvelle crise au Moyen-Orient (la dernière déclenchée par l'avancée de l'État islamique), les États-Unis interviennent, que ce soit en suscitant un changement de gouvernement (ce qu'ils viennent d'orchestrer en Irak) ou en bombardant l'ennemi du moment. Violences et arrangements en coulisses continuent à régner en maître.

Des interventions inutiles 

Les soi-disant grands spécialistes claironnent que les Arabes ne sont pas mûrs pour la démocratie. En réalité, les États-Unis et leurs alliés n'acceptent pas le résultat d'élections démocratiques dans les pays arabes lorsqu'il ne leur convient pas, car il conduit souvent à des régimes nationalistes, anti-israéliens, islamistes ou hostiles aux intérêts pétroliers américains. Quand les urnes penchent dans cette direction, les États-Unis ignorent tout simplement les résultats (comme ce fût le cas en 2006 avec la victoire électorale marquée du Hamas à Gaza).

Les États-Unis ne peuvent pas arrêter la spirale de violence qui embrase le Moyen-Orient. Les dégâts en Libye, en Syrie, en Irak ou à Gaza appellent à une solution politique de la part des acteurs régionaux, et non à un accord imposé de l'extérieur. Il faudrait que le Conseil de sécurité fournisse un cadre international qui ne serait pas régi par les grandes puissances, qu'il décide la levée des sanctions économiques désastreuses et respecte les accords politiques auxquels seront parvenus les gouvernements et les factions de la région.

En raison d'un passé de plus de 2000 ans de commerce et de guerres, l'Iran, la Turquie, l'Égypte, la Syrie, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et les autres pays de la région ont une excellente connaissance les uns des autres - ce qui devrait leur permettre de résoudre eux-mêmes les crises sans interférence des États-Unis, de la Russie ou des anciennes puissances coloniales européennes. Tous les pays du Moyen-Orient ont intérêt à priver les groupes hyperviolents comme l'État islamique de livraisons d'armes, de financement et d'attention médiatique. Ils ont aussi intérêt à laisser le flux pétrolier parvenir jusqu'aux marchés mondiaux pour en percevoir les revenus.

Je ne prétends pas que tout ira bien si les États-Unis et les autres puissances se retirent. Il y a suffisamment de haine, de corruption et d'armes dans la région pour alimenter la crise pendant encore quelques années. Et il ne faut pas s'attendre à voir émerger prochainement des démocraties stables. Mais il ne sera pas possible d'aboutir à des solutions durables tant que les États-Unis et d'autres puissances étrangères continueront à intervenir dans la région.

© Project Syndicate