Avec le début des audiences sur le projet de loi 3, nous arrivons enfin dans le coeur du débat sur la pérennité des régimes de retraite. Nous quittons les slogans des manifestations pour les échanges, parfois raisonnés, entre élus et représentants de la société civile. De cela émerge un nouvel argument développé par les centrales syndicales, notamment la CSN et la FTQ. Le projet de loi ne serait pas constitutionnel et engendrerait avec «certitude» une contestation juridique.

Apparemment, il brime la libre négociation corollaire du droit d'association qui, lui, est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés et par les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) que le Canada a signées. L'argument est central, puisqu'il interpelle la capacité du gouvernement à résoudre les déficits accumulés dans les régimes du secteur public sans brimer les droits fondamentaux.

En d'autres mots, est-ce qu'un gouvernement peut intervenir pour régler un problème qu'il considère comme nocif pour les finances publiques lorsqu'il n'a pas confiance dans les municipalités et les syndicats pour le régler?

La justesse de l'argument syndical repose sur les limites légitimes qu'une société démocratique peut imposer à la libre négociation. À ce titre, l'OIT reconnaissait en 1994 qu'un gouvernement avait le droit de limiter la liberté de négociation en matière de rémunération, donc en matière de régime de retraite, dans le cadre d'une exceptionnelle politique de restructuration dont le but est l'intérêt général.

Est-ce que le projet de loi 3 est de nature exceptionnelle, vise une restructuration et a pour objectif l'intérêt général? Il est difficile de contester sa nature structurante. La teneur du projet ainsi que celle des échanges en commission parlementaire démontrent clairement le caractère éphémère des restrictions. Pour l'intérêt général, bien que sa définition puisse susciter de vifs débats, il est raisonnable d'argumenter que la survie des régimes, tout en ménageant les finances publiques, est dans l'intérêt de tous.

De plus, l'OIT reconnaît le droit à un gouvernement de fixer des limites budgétaires à la rémunération des employés du secteur public qui seraient préalable à des négociations collectives. Il va sans dire que l'imposition d'un plafond au financement (18% des salaires) et le partage égal des coûts sont donc des limites à la négociation qui s'effectuent dans ce cadre légitime.

Qu'en est-il de cette liberté de négociation au Canada? Notre Cour suprême, dans son récent arrêt Fraser, précisait que la liberté de négociation se limite au droit des employés de s'associer pour faire des observations à leur employeur, et à l'obligation de ce dernier d'en tenir compte de bonne foi. Visiblement, le projet de loi 3 respecte aussi ces balises fixées par la Cour suprême.

Pour terminer, les syndicats ont souvent prétexté qu'ils ne pouvaient pas s'attaquer aux déficits des services passés - le fameux 3,9 milliards dans le monde municipal - puisque la Loi sur les régimes complémentaires de retraite empêche toute modification des rentes versées aux retraités. D'ailleurs, le secrétaire général de la FTQ l'a répété lors de la présente commission parlementaire. Un argument qui semble paradoxal, vu l'actuel dédain syndical pour les limites juridiques à la négociation entourant les régimes de retraite.

Est-ce que l'inconstitutionnalité des limites apportées à la négociation collective serait déterminée opportunément par ses conséquences sur les conditions de travail plutôt que par son atteinte réelle au droit d'association? Si c'est le cas, les centrales syndicales ont peu confiance dans la légitimité sociale de leur campagne contre le projet de loi 3.