Le Québec moderne a été bâti de bien des façons. Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, ceux et celles qui nous ont précédés ont affirmé nos ambitions, repoussé les frontières que d'autres - ou nous-mêmes - nous étions imposées. Les Québécois ont alors réussi à traverser plusieurs barrières. On parle souvent de cet essor dans le domaine politique, financier ou économique. Nos artistes et notre culture se sont aussi révélés chez nous, et ailleurs dans un monde surpris de découvrir - ou de redécouvrir - ces francophones d'Amérique encore bien vivants après 350 ans d'histoire.

Le départ du Dr Claude Bertrand, la semaine dernière, nous rappelle que la science et la médecine québécoise ont aussi eu leurs défricheurs de la modernité. Jeune résident en neurochirurgie, j'ai eu l'honneur de connaître celui qui figure parmi le groupe très restreint des fondateurs de la neurochirurgie québécoise, certainement celui dont la réputation internationale fut la plus grande. C'est à lui que l'Hôpital Notre-Dame doit la fondation du premier service de neurochirurgie francophone de Montréal. Car il fut une époque, maintenant lointaine, où certains disaient qu'aucun d'entre nous ne pourrait accéder à cette spécialité!

À cette époque il n'y avait pas de moniteurs cardiaques perfectionnés, de CT scans ou de ces autres merveilles technologiques aujourd'hui si familières. Il fallait se fier à son jugement clinique, aux subtilités de l'examen neurologique et à l'intuition nourrie par l'expérience. Les risques étaient très élevés pour les malades, mais la médecine avait peu d'options à leur offrir. Il arrivait fréquemment au Dr Bertrand de dormir près de ses patients. Beaucoup me l'ont raconté avec émotion...

La liste de ce qu'il a accompli est impressionnante et j'encourage les lecteurs de La Presse à relire la notice de décès parue il y a quelques jours. On y prend la pleine mesure d'un des géants de notre médecine. C'est lui qui a introduit chez nous (entre autres) la chirurgie de la maladie de Parkinson, de l'épilepsie et de la douleur chronique. J'ai eu l'honneur de l'assister au cours de ce qui fut probablement sa dernière intervention intracrânienne: une réintervention pour épilepsie réfractaire. Le malade ne voulait que «son» Dr Bertrand comme chirurgien, et lui-même restait fidèle à son patient. Jusqu'aux dernières années de sa pratique, il a innové, introduisant à Notre-Dame une nouvelle technique permettant d'améliorer le torticolis spasmodique... De longues interventions qu'il pratiquait lui-même du début à la fin, à plus de 70 ans!

Je veux rendre hommage à ce grand médecin, ce grand Québécois et Canadien. J'offre mes plus sincères condoléances à ses quatre enfants et à mes collègues de la communauté neurochirurgicale québécoise.