Dans son éditorial du 8 août, Laura-Julie Perreault considère qu'à l'exemple de la grande avenue piétonne Istiklal à Istanbul et d'autres à Bordeaux et à Denver, la rue Sainte-Catherine Ouest pourrait devenir une magnifique rue piétonne, d'autant plus qu'elle donne accès aux universités McGill et Concordia.

On pourrait ajouter que, parallèlement, elle permet d'accéder à des paysages urbains d'intérêt, tels le square Phillips, la cathédrale Christ Church et l'avenue McGill College avec sa fenêtre sur le mont Royal. Selon Mme Perreault, la question serait comment supprimer la circulation automobile sur cette artère sans créer un impact trop négatif pour les commerces qu'elle dessert.

Cette question s'avère, dans les faits, plus complexe. Une ville est un organisme vivant et chaque ville possède sa façon propre d'être et de se développer. Une rue piétonne qui fonctionne très bien dans une ville, comme c'est le cas, par exemple, de Stroget, à Copenhague, ne peut devenir de facto un modèle à suivre pour une autre agglomération. Car entrent en ligne de compte l'histoire, la culture des communautés, le caractère des lieux et, évidemment, le climat.

On peut vérifier cette allégation avec la ville intérieure de Montréal, laquelle est la plus développée au monde. Cette ville intérieure fait partie intégrante de la ville, au point que l'usager ne sent pas ou peu la différence en passant de la ville de surface à celle de l'intérieure ou vice-versa. Ce qui a façonné ainsi le caractère de la ville intérieure montréalaise, c'est qu'elle s'est développée d'une façon organique, répondant avec le temps aux besoins des uns et aux souhaits des autres, et qu'elle est aujourd'hui largement appropriée.

Un atout de taille

Mario Polèse, de l'Institut national de recherche scientifique, considère qu'une rue piétonne est possible lorsqu'elle se trouve dans un milieu riche qui ne se limite pas à une série de commerces. Dans ce sens, le fait que le secteur que traverse la rue Sainte-Catherine Ouest soit parsemé de tours d'habitation et que plusieurs autres y soient en cours de construction constitue un atout de taille. Sans oublier que le centre-ville de Montréal s'avère, en Amérique du Nord, le plus densément habité après celui de New York. S'ensuit-il pour autant que la piétonnisation de la rue Sainte-Catherine Ouest puisse être couronnée de succès?

Il y d'autres aspects à considérer, notamment les dimensions et le caractère de cette rue. Il est agréable de circuler et s'attabler dans une rue piétonne comme c'est le cas, par exemple, dans le bout de la rue Duluth fermé à la circulation. Mais ce bout de rue étant restreint, qu'en serait-il sur une longue distance pour une artère à grande échelle comme Sainte-Catherine Ouest? Si on prend le cas de Paris avec ses terrasses le long des grands boulevards, la circulation des véhicules contribue indéniablement à leur animation. On n'a d'ailleurs qu'à regarder des illustrations et photos historiques de la rue Sainte-Catherine pour constater que, successivement, les omnibus à chevaux, les tramways et les autos ont fait partie de sa réalité. Est-ce que les piétons pourront seuls prendre la relève, surtout durant l'hiver?

Alors, quoi décider? Il faut d'abord viser l'appropriation des lieux par les citoyens. Une fermeture expéditive de la rue Sainte-Catherine Ouest à la circulation automobile risque d'amener des commerçants et des automobilistes à exagérer son impact négatif et forcer un retour au statu quo. Donner la priorité aux piétons en élargissant les trottoirs, en les verdissant et en multipliant les terrasses favoriserait au contraire l'appropriation graduelle des lieux tout en donnant à la Ville le temps de rendre plus accueillant certains endroits, tel le square Phillips, et d'étudier les possibilités d'aménager les stationnements nécessaires à la fermeture éventuelle de l'artère à la circulation automobile. Si, évidemment, au moment venu, cette solution reste toujours la plus souhaitable.