Entre 2000 et 2007, près de 300 000 emplois ont été éliminés dans le secteur manufacturier canadien. La part du secteur dans notre PIB est passée de presque 20 % en 2002 à 13 % aujourd'hui.

Durant la grande crise financière de 2008-2010, tous nos partenaires commerciaux ont mis en place des mesures de stimulus économique visant à soutenir la production intérieure par l'entremise de grands projets d'infrastructure. Alors qu'aux États-Unis tous les secteurs ont été mis à contribution, de l'achat de matériel roulant pour le transport en commun à la construction d'hôpitaux, d'autoroutes et même de systèmes de traitement des eaux usées, le Canada, lui, a dépensé sans s'assurer que tous ces grands projets auraient des retombées positives sur l'emploi manufacturier au pays.

Le Buy American Act, qui oblige les compagnies d'acheter l'acier américain et de fabriquer les produits aux États-Unis afin de pouvoir concurrencer de grands projets d'infrastructure, s'applique maintenant à presque tous les grands chantiers de construction gouvernementaux au sud de la frontière. Il exclut de la concurrence toute compagnie canadienne qui n'a pas de capacité de production aux États-Unis. C'est une barrière commerciale importante qui, malheureusement, force la délocalisation de milliers d'emplois du Canada vers les États-Unis.

Les autres pays ne sont pas en reste. Une étude récente du Peterson Institute aux États-Unis a dénombré plus de 125 projets d'infrastructure dans 28 pays qui imposaient des exigences de contenu local depuis 2008.

Le gouvernement fédéral canadien, de son côté, s'apprête à dépenser près de 50 milliards de dollars dans les prochaines années par l'entremise du programme Chantier Canada, en plus des 5 milliards réservés pour le remplacement du pont Champlain, sans aucun plan stratégique pour maximise les retombées économiques.

Même si les deux ministères qui gèrent ces projets, Transports Canada (dans le cas du pont Champlain) et Infrastructures Canada (dans le cas du programme Chantiers Canada) sont exclus des accords de libre-échange internationaux tels que l'ALENA, le gouvernement fédéral n'a aucune intention d'utiliser ces projets comme leviers économiques afin de soutenir des emplois manufacturiers au pays. Pourtant, il serait virtuellement impossible pour nos fleurons québécois d'exporter des structures d'acier et autres composantes sur des projets d'infrastructure d'une telle ampleur, que ce soit aux États-Unis, au Brésil, en Chine, en Inde ou en Russie.

La situation est intenable. Nous avons ici, au Québec, la capacité de produire des structures d'acier pour plusieurs ponts, et le projet du pont Champlain représente une occasion unique de soutenir les emplois d'une manière tout à fait légale et similaire à ce qui se fait ailleurs dans le monde.

Quand vient le temps de remplacer des voitures de métro, acheter des autobus pour le transport en commun, des avions militaires, ou autre matériel pour la défense nationale, nos gouvernements ne se gênent pas pour maximiser les retombées économiques au pays. C'est bien normal, car ces projets sont payés à même les deniers publics et les autres pays le font aussi.

Alors pourquoi le pont Champlain et tous les autres projets d'infrastructure financés à même ces dizaines de milliards de dollars seraient-ils exemptés de cette même logique ? Le gouvernement Harper aime nous parler d'économie; voilà une belle occasion pour son lieutenant politique, Denis Lebel, de prêcher par l'exemple !