Liliane Stewart est décédée lundi à l'âge de 85 ans. Elle et son mari David auront eu une influence déterminante dans le développement de la vie sociale et culturelle au pays à un moment particulier de l'évolution du Québec. C'était au début des années 1970, David M. Stewart voyait comment le fossé se creusait entre les anglophones et les francophones qui cherchaient à faire leur place dans la vie économique et sociale.

Son épouse et lui ne voulaient pas assister à la balkanisation du Québec: ils cherchaient à abattre la frontière invisible du boulevard Saint-Laurent, qui concentrait les francophones à l'Est et les anglophones à l'Ouest, chacun évoluant dans des institutions étanches aux uns et aux autres.

Passionnés d'histoire militaire et sociale, ils ont souhaité que les musées qui leur étaient consacrés ouvrent leurs fenêtres et accueillent une vision plus large que celle du retranchement. M. Stewart passa ainsi, en 1972, le flambeau de la présidence du Quebec Museum Society à un francophone pour que cette association assume son identité de Société des musées québécois. Il s'assura que le Musée McCord d'histoire canadienne reflète les apports des deux communautés qui ont bâti Montréal.

Ils se sont portés acquéreur du Manoir de Jacques Cartier à Saint-Malo en France, qui servait alors de «hangar à patates», l'ont restauré et transformé en site patrimonial finalement reconnu par le gouvernement français et ouvert aux visiteurs.

Bâtisseurs de collections, rénovateurs de musées, transformateurs de l'ancien musée de l'Île-Sainte-Hélène qui porte maintenant leur nom, David et Liliane Stewart croyaient fermement que les deux principales communautés du pays et les autochtones pouvaient cohabiter harmonieusement dans des institutions communes.

En 1973, ils ont mis tout le produit de la vente des actifs de la Macdonald Tobacco, une compagnie de tabac fondée à Montréal en 1858 par William C. Macdonald, grand-père de David M. Stewart, et établie dans Hochelaga, dans une fondation qui devait servir à soutenir leurs initiatives philanthropiques.

L'un de leurs premiers projets a été de fonder le Musée des arts décoratifs au Château Dufresne, l'ancienne résidence des frères Dufresne (dans Maisonneuve) laissée à l'abandon et squattée depuis 15 ans. Leur objectif: revaloriser le patrimoine de ce quartier populaire de Montréal et y établir un pôle de la vie culturelle.

Le mécénat s'ancre dans un milieu qu'il peut contribuer à transformer profondément pour servir des objectifs humanistes qui auront aussi pour effet de rapprocher les communautés, leur faciliter l'appréciation de leur histoire réciproque et leur faire concevoir des objectifs communs.

En ce sens, Liliane Stewart, qui présida la fondation Macdonald Stewart pendant 30 ans (depuis 1984), aura profondément marqué la cohésion sociale et culturelle de Montréal en exorcisant les préjugés linguistiques tenaces. Établissant de nouveaux objectifs d'excellence, elle a ouvert le champ du design contemporain. La collection qu'elle a contribué à assembler est la plus importante en Amérique du Nord avec celle du MOMA à New York.

Mme Stewart n'était pas figée dans un passé vermoulu. Elle était visionnaire et elle a voulu ancrer la permanence de son éthique au musée des beaux-arts de Montréal, une institution dynamique, renouvelée et dirigée, comme elle, par une femme qui possède toutes les qualités d'une véritable chef d'entreprise.

On lui doit d'avoir ouvert les portes de plusieurs institutions culturelles à ce qui fait la force de Montréal, et du Québec en particulier, où francos et anglos peuvent joindre leur dynamisme et leur créativité dans le respect du caractère propre à chacun, afin de mieux aller au-delà, et de pouvoir faire notre marque à l'étranger.