Il n'y a pas si longtemps vivait un ministre provincial qui, par-dessus tout, voulait le bien de la population qui l'avait élu. Ainsi, il s'affairait à préparer entre autres choses un projet de loi innovateur, et surtout bien aligné sur ce qu'il entendait être les «valeurs communes».

Un beau matin il décida, avec l'aide de ses conseillers en communication (soi-disant bien au fait des réels problèmes sociaux), de mettre au point ses nouveaux habits législatifs. De passer enfin à l'action! Fort emballé, le ministre crut surtout que cette nouvelle étoffe lui permettrait aussi de montrer au monde qu'il savait «mettre ses culottes!»

Les conseillers s'installèrent au métier à tisser des valeurs: «d'or et de soie, ces habits nous rendront tous fiers!» prétendaient-ils. Ils avancèrent aussi que ceux qui ne sauraient reconnaître ces beaux apparats seraient des obtus, et que toute la province dirait d'eux qu'ils n'ont pas inventé le bouton à quatre trous!

Quelques jours plus tard, le ministre passa voir ses conseillers afin de vérifier où en était le projet en question. «C'est que le temps presse, mes amis! Nous n'avons pas encore de valeurs!», s'écria-t-il.

Mais il ne vit rien. Fort dérangé, le ministre décida de n'en parler à personne, de peur qu'on le décrive comme un aveugle, un sot, ou pis encore, un fabulateur!

Il demanda à la première ministre de se rendre en personne afin d'inspecter par elle-même la confection du projet. Ce qu'elle fit aussitôt. Mais elle ne vit rien de plus que ce que son ministre avait vu. En fait, elle ne vit rien! Elle fut tout aussi envahie que son ministre par la crainte de passer pour une égarée. Elle décida donc de ne rien dire.

Pendant ce temps, partout dans la province, les citoyens se querellaient sur les éventuels habits de valeurs...

Le jour arriva enfin où le ministre, accompagné par la première ministre et tous leurs conseillers, présenta devant la cour médiatique ses nouveaux habits législatifs. La fameuse Charte était prête! De peur de passer pour hallucinés, tous prétendirent alors y voir quelque chose: «C'est d'avant-garde et j'appuie!» disait untel. «Ces habits de valeurs sont informes et hideux! C'est de la poutine!», disait un autre...

Seule une petite fille, qui s'était faufilée dans la salle, cria devant tous la vérité: «Yo! Le ministre est nu! Vous ne voyez pas? Il n'a même pas d'habits!» La foule se mit alors à murmurer: «mais elle a raison, cette petite...»

Le ministre, qui comprenait parfaitement le sens de ces mots, s'aperçut aussitôt de la chose. Il décida de poursuivre son discours, comme si de rien n'était.