Dans son édition du 22 avril, le quotidien Le Soleil nous apprenait que le ministère de l'Éducation a publié récemment une liste orthographique de quelque 2700 mots pour compléter le programme de français langue première du primaire. Cette liste, qui correspond au vocabulaire de base, doit servir d'outil de référence pour les enseignants en leur indiquant quels mots devraient être appris à chaque année de l'école primaire.

Ce genre d'outil pédagogique n'avait malheureusement pas été renouvelé depuis plusieurs années. Il aurait dû être mis à la disposition des enseignants bien avant. Ceux-ci le réclamaient depuis longtemps afin d'assurer une meilleure coordination de l'enseignement de l'orthographe à l'intérieur d'un même niveau et entre les différents niveaux du primaire.

Mais l'égarement le plus grave des fonctionnaires du ministère de l'Éducation est ailleurs. Ils ont retenu en 5e année plus de mots qu'en 6e «pour tenir compte de la possibilité d'offrir l'enseignement intensif de l'anglais langue seconde en 6e année et, conséquemment, de réduire le temps alloué à l'enseignement du français». En 5e année, la liste comprend en effet 822 mots, alors qu'en 6e elle baisse à 531, soit une différence d'environ 300 mots.

On a bien lu: le programme de français se voit dorénavant subordonné à l'enseignement de l'anglais! Et cela est affirmé béatement par les fonctionnaires du ministère de l'Éducation comme une donnée pédagogique incontournable! Ils se défendront peut-être en alléguant que le programme général reste le même, parce que celui de 5e année aurait été augmenté d'une partie de celui de 6e. Pareilles arguties ne sauraient justifier le fait que le programme de 6e a été bel et bien réduit au profit de l'anglais.

Le gouvernement libéral qui vient d'être élu généralisera sans doute l'anglais dit «intensif» en 6e année dans tout le réseau primaire. Il convient de préciser que ce type d'enseignement n'est pas seulement intensif; il est aussi exclusif: le français langue première ainsi que les autres matières sont enseignés pendant une moitié de l'année, tandis que l'anglais langue seconde est enseigné exclusivement durant l'autre moitié.

Le français négligé

Dans ces conditions, le temps réservé au français et à tous les apprentissages qui y sont associés (grammaire, syntaxe, lecture, écriture...) ne peut que diminuer, ainsi que le reconnaissent eux-mêmes, sans la moindre gêne, les fonctionnaires du ministère de l'Éducation.

Désormais, en 6e année, les jeunes francophones étudieront moins le vocabulaire de base de leur langue que leurs camarades de 5e, pour pouvoir se concentrer davantage sur l'étude de l'anglais langue seconde. On imagine ce qui arrivera pour les autres composantes plus complexes et plus importantes de la langue, comme la lecture et la capacité de rédiger des textes.

Mais quelle est donc cette obsession de l'anglais qui obnubile les francophones du Québec au point qu'ils en arrivent à négliger le fondement même de leur identité et de leur culture dans leur propre système d'éducation? L'attachement des Québécois francophones pour leur langue paraît bien superficiel et s'exprime surtout dans des discours convenus, mais moins dans des actions résolument en sa faveur.

Il faut bien le dire: les Québécois francophones semblent accorder plus de valeur à l'anglais qu'à leur propre langue. Par conséquent, au lieu de simplement réduire les contenus d'apprentissage du français, il serait plus indiqué de faire de l'anglais la principale matière scolaire de notre système d'éducation, de la maternelle à la 5e secondaire. Et, tant qu'à faire, pourquoi ne pas ranger le français parmi les matières secondaires, voire optionnelles?