Les Québécois ont-ils peur de leur ombre, référendaire ou identitaire ? Ce discours sur la peur native des Québécois me replonge dans mon adolescence. Au lendemain du référendum de 1980, j'avais souvent entendu mes aînés souverainistes affirmer que les Québécois avaient eu peur de prendre leur destin en main. Le ton est aujourd'hui un peu moins offusqué, les mots sont les mêmes.

La peur référendaire a servi d'argument commode à Jean-François Lisée et à d'autres péquistes déçus pour expliquer la débandade électorale d'un parti qui continue de penser qu'il a le monopole de l'ethos québécois. Dans le coin opposé du ring explicatif, les commentateurs d'obédience fédéraliste ont répondu que les Québécois n'ont pas peur : tout simplement, l'option souverainiste ne leur dit plus rien.

La vérité, comme toujours, se situe sans doute entre les deux. Philippe Couillard a eu l'intelligence d'affirmer, au sujet de la souveraineté, qu'« une idée ne meurt jamais ». Mais on ne meurt pas non plus, fût-ce de mort lente, pour une idée qui ne porte plus en elle le germe de son incarnation.

Celui qui a peur s'arme pour se défendre. En ce sens, les Québécois n'ont jamais eu peur. Quand ils ont pris les armes en 1837, ce n'était pas parce qu'ils avaient peur, mais bien parce qu'ils avaient raison de le faire. Et quand ils n'ont pas eu raison en 1970, le peuple s'est chargé de le leur faire comprendre en portant démocratiquement et pacifiquement au pouvoir un parti qui incarnait leurs aspirations les plus profondes. Il n'y a pas que la révolution qui ait été tranquille au Québec ; l'affirmation nationale y est aussi d'une remarquable tranquillité.

Alors, peureux, les Québécois ? Je ne sais pas. Mais prudents et rétifs à la violence, très certainement. Et selon moi, il s'agit là d'un trait de caractère très moderne.

Parce qu'il est né avec la démocratie moderne, ce peuple a tout de suite fait sien ce qui constitue les traits fondamentaux du régime démocratique : recherche du consensus, neutralité du droit, quête de compromis civiques. L'ambivalence existentielle des Québécois m'a toujours paru parfaitement adaptée à la nature contractuelle de ce système politique, qui forme l'horizon indépassable de notre temps.

De ce point de vue, l'inscription du Québec dans la fédération canadienne peut se présenter comme une situation faite sur mesure pour cette négociation identitaire toujours recommencée qui caractérise ses habitants. Nous ne serons jamais tout à fait à l'aise dans ce pays. Mais ce malaise est en train de devenir constitutif de l'identité québécoise. Et s'il en va ainsi, c'est que nous disposons de tous les mécanismes qui nous permettent de le tempérer, d'en aplanir les arêtes, de le subordonner au développement de notre société. Le jour où ce ne sera plus le cas, nous pourrons reparler de souveraineté. Mais ce jour s'éloigne à mesure que nous avançons, comme la ligne d'horizon.

Les jeunes l'ont bien compris. Voilà pourquoi ils ne voteront plus pour le PQ. Non parce qu'ils sont fermés sur eux-mêmes, comme l'a affirmé Louise Beaudoin dans un moment de dépit, mais au contraire parce qu'ils sont ouverts sur tout le reste. Les 18-34 ans savent d'instinct que la souveraineté est un acte violent politiquement, même si elle se fait sans verser de sang, et que le monde dans lequel nous vivons n'est pas un monde de rupture, mais bien d'accommodements ou de raccommodements, raisonnables ou non.

Avant la dernière campagne électorale, on savait déjà que les Québécois n'aimaient pas la « chicane ». Ce que le peuple nous a dit le 7 avril, c'est qu'au XXIe siècle, l'affirmation nationale peut non seulement s'accommoder du renoncement à l'indépendance, mais qu'elle peut même se nourrir de l'interdépendance avec le reste du monde. C'est une grande leçon. Et s'il veut se réformer, le PQ devra en prendre acte.