Les sondages ont bien prédit le vote populaire. D'une part, le vote pour le PLQ a été estimé de façon stable à 40% en moyenne au cours de la dernière semaine de campagne, une prédiction qui est très proche des résultats (41,5%). D'autre part, les sondages ont bien prédit la chute des intentions de vote pour le PQ et la montée de la CAQ, des mouvements qui ont amené les deux partis presque à égalité autour de 25% au moment du vote. Il restera à analyser si la performance des sondages a été tout aussi bonne à l'échelle régionale et chez les francophones.

L'évolution des estimations des sondages pendant la campagne a amené certains à évoquer une possible influence des sondages sur le vote. On s'est demandé si ces derniers ne provoquaient pas des mouvements dans les intentions de vote plutôt que de simplement mesurer ce qui se passe. Mes recherches ont montré que 10% à 15% des électeurs ne votent pas comme ils affirmaient vouloir le faire lorsqu'interrogés à mi-campagne. Cette proportion baisse à 5% si le sondage pré-électoral a été fait en fin de campagne.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser toutefois, ce sont les électeurs intéressés par la politique et plus scolarisés que la moyenne qui sont plus susceptibles de changer d'idée durant la campagne. Et les personnes qui changent d'idée sont également plus nombreuses que les autres à affirmer avoir été influencées par les sondages. Quel est l'effet net de cette influence? Les mouvements se font dans toutes les directions et l'effet net est habituellement faible ou nul.

Il demeure que certaines campagnes sont marquées par des mouvements importants. Certains ont comparé la montée de la CAQ en fin de campagne à la vague orange en 2011. Après cette élection, j'ai réalisé un sondage auprès des répondants au sondage CROP fait à mi-campagne. Quelles étaient les raisons invoquées par les personnes qui avaient voté NPD pour justifier leur vote? Les commentaires faisaient état d'un ras-le-bol des propos négatifs et de la «chicane», de l'impression de tourner en rond, d'une appréciation de la campagne positive menée par le NPD. Des leçons auraient sans doute pu être tirées par les partis en 2014.

Les sondages ont un autre type d'influence dont on parle moins. Il semble qu'il a suffi que trois sondages montrent une embellie pour le PQ en février pour amener certains à conclure que celui-ci se dirigeait inéluctablement vers une victoire. Ceci a sans doute contribué à la décision de déclencher des élections. Or cette embellie s'est avérée de courte durée, comme les sondages suivants l'ont montré.

Les sondages ont aussi été appelés en renfort pour déterminer la thématique de la campagne. Dès mars 2013, un sondage fait pour le gouvernement montrait que celui-ci tentait de cibler quels étaient les appuis qu'il pouvait avoir en proposant une Charte de la laïcité. Dès le projet lancé, les sondages ont montré que les francophones appuyaient majoritairement la Charte. Toutefois, ils ont aussi montré que l'appui à la Charte était demeuré stable après le dépôt de l'avant-projet de loi et que les intentions de vote pour le PQ étaient tout aussi stables.

Enfin, les intentions de vote pour le PQ avaient varié en février sans que l'appui à la Charte ne se modifie. Il aurait donc fallu conclure que ce n'était pas cet appui qui entraînait une hausse de l'intention de vote pour le PQ et que celle-ci pouvait être due à certaines annonces relatives au développement économique, par exemple. Ceci montre l'importance d'interpréter les sondages dans la durée.

En conclusion, cette campagne permet de souligner à la fois la pertinence des sondages comme outil fiable pour informer de ce qui s'est passé et l'importance de ne pas s'y fier aveuglément pour nous instruire sur ce qui peut arriver à l'avenir.