L'offensive russe en Crimée et le rôle prépondérant de Vladimir Poutine sur la scène internationale amènent plusieurs à voir et à craindre une résurgence d'une Russie impérialiste. Une analyse historique apporte toutefois plusieurs bémols à cette théorie et suggère plutôt un déclin relatif que les récentes gesticulations tentent simplement de freiner.

Depuis la fin de la Guerre froide, l'Union européenne (UE) s'étend lentement, mais avec la constance d'un rouleau compresseur. Au milieu des années 2000, les différentes révolutions colorées ont amené au pouvoir des régimes pro-occidentaux aux frontières de la Russie. L'été dernier, l'entrée de la Croatie dans l'UE a brisé la glace à une expansion dans les Balkans, notamment en Serbie, pourtant un allié historique de la Russie.

L'OTAN a connu une expansion similaire vers l'est et a même considéré intégrer l'Ukraine et les pays du Caucase. Au moins jusqu'à 2008, l'expansion occidentale dans l'ancienne Union soviétique ne rencontrait aucun obstacle.

Si la guerre russo-géorgienne de 2008 ne marque pas la résurgence d'un empire russe post-soviétique, elle marque néanmoins le retour de la Russie comme puissance régionale avec sa propre zone d'influence. Elle marque aussi la première véritable tentative de freiner l'expansion de l'influence occidentale. En envahissant (puis, en annexant de facto) les provinces russophones de Géorgie, Moscou a signalé à l'Occident qu'il ne tolèrerait plus une expansion dans son ancienne zone d'influence.

Ce retour en force de la Russie s'explique essentiellement par deux facteurs: une plus grande cohésion nationale engagée sous Poutine et la flambée des prix des matières premières, notamment le pétrole et le gaz, qui a donné à l'ancien agent du KGB les moyens de ses ambitions. D'une main à la fois de fer et habile, Poutine a réussi imposer sa vision.

Censure de la presse, persécution d'opposants, élections frauduleuses: la dérive autoritaire des dernières années a néanmoins assuré une stabilité politique et économique qui contraste avec la volatilité des années 1990, en plus de proposer une alternative à la démocratie libérale. La récente loi homophobe se pose également en alternative à des valeurs dites occidentales.

En écartant certains oligarques et en rachetant leurs actifs, l'État russe a pu profiter de la flambée des prix des matières premières, ce qui a notamment permis d'acheter la paix en Tchétchénie, en inondant la république séparatiste de pétro-dollars. Sur la scène internationale, la chaîne d'information en continu Russia Today (RT) permet de diffuser le point de vue du Kremlin à travers le monde. En Russie, comme ailleurs, Poutine tente de se proposer en alternative à l'Occident.

Un jeu géopolitique

Malgré tout, la stratégie russe ressemble davantage à un repli stratégique dans des régions russophones, donc déjà acquises, qu'à une expansion avec des visées impériales. Mis à part l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, la Géorgie demeure pro-occidentale. En Syrie, l'habilitée diplomatique de Poutine a permis au régime de Bachar Al-Assad de survivre pour l'instant, ce qui assure le maintien de la seule base navale russe en Méditerranée. Son avenir demeure toutefois incertain.

En Europe de l'Est, la progression de l'UE semble irréversible. Jusqu'à récemment, la Russie pouvait compter sur deux États tampons, l'Ukraine et la Biélorussie. Maintenant, Kiev lui a échappé. En envahissant la Crimée sous prétexte de protéger les populations russophones, la Russie tente de sauver les meubles. Tôt ou tard, avec ou sans la Crimée et ses autres régions russophones, l'Ukraine finira par rejoindre l'UE, repoussant encore une fois les frontières européennes à l'est.

La Russie remporte peut-être les petites batailles, mais l'Occident est en train de remporter le grand jeu géopolitique en Europe.