Le texte d'Alain Dubuc dans La Presse du 29 janvier porte à réfléchir. Comme lui, je n'aime pas que l'on traite de la question du crucifix à l'Assemblée nationale de manière partisane. Je suis d'accord avec ce qu'il écrit sur la culture chrétienne: «Ce passé [catholique] n'a pas seulement légué un patrimoine, il a aussi contribué, avec les traditions protestante, orthodoxe et juive, à définir nos références communes et nos valeurs. Cela fait partie du bagage que propose la société d'accueil et dont les nouveaux venus doivent tenir compte dans leur processus d'intégration. L'asepsie culturelle n'est pas une solution».

C'est pourquoi je ne comprends pas que M. Dubuc veuille exclure le crucifix des murs de l'Assemblée nationale, installé par le premier ministre Duplessis en 1936. S'il n'y était pas, il ne serait pas question de l'y mettre, mais il y est déjà.

«Je défends la présence de ces crucifix (sur les murs des écoles et de l'Assemblée nationale), explique Pierre Foglia, en n'en faisant pas une affaire de principe, de religion, de droit, mais comment dire? De sensibilité. D'urbanité. Bien sûr qu'ils sont incongrus dans un espace civique, mais on ne parle pas d'en mettre, ils sont là, il y a de la provocation à vouloir les décrocher, il y a un peu là-dedans du taliban qui fait sauter les bouddhas de Bamiyan. Peut-être y a-t-il dans ce débat, en plus de la voix du bon droit, celle du citoyen ordinaire qui ne fait pas chier son voisin quand ce n'est pas absolument nécessaire» (La Presse, 2 oct. 2007).

Incidemment, faudrait-il aussi supprimer notre drapeau adopté encore plus récemment, le 21 janvier 1948, sous le même premier ministre Duplessis, qui est composé de quatre fleurs de lys en mémoire des origines françaises du Québec et d'une croix blanche représentant la foi chrétienne? Faudrait-il encore supprimer nos armoiries adoptées le 9 décembre 1939, où les fleurs de lys (or sur fond bleu), symboles des rois de France, sont au nombre de trois en l'honneur de la Sainte-Trinité?

En Italie, en mars 2005, le Tribunal administratif rejeta la requête des parents qui contestaient la présence du crucifix dans les écoles publiques. Il estima notamment que, quoique le crucifix soit un symbole religieux, il est également un symbole historico-culturel, pourvu à ce titre d'une «valeur identitaire» pour le peuple italien, en ce qu'il «représente d'une certaine manière le parcours historique et culturel caractéristique de [l'Italie] et en général de l'Europe toute entière...».

Le tribunal retint en outre que le crucifix devait aussi être considéré comme un symbole d'un système de valeurs qui innervent la Charte constitutionnelle italienne. Après diverses péripéties, le litige fut porté devant la Grande Chambre de la Commission européenne des droits de l'homme, la plus haute instance judiciaire du Conseil de l'Europe, qui rejeta la requête des parents. Dans le cadre de cette procédure, 33 membres du Parlement européen et 10 pays, dont la Russie, sont intervenus pour soutenir l'Italie. Effectivement, le crucifix est présent dans les écoles de plusieurs pays européens.

Qu'en serait-il des débats à l'Assemblée nationale, si les députés pensaient quelquefois aux valeurs fondamentales qui animaient cet homme crucifié? Comme on peut être inspiré par la vie de Gandhi, Luther King, Nelson Mandela.