Faut-il en avoir, du temps à perdre, pour discourir pendant des mois sur la façon dont ma collègue de bureau doit s'habiller? Est-ce que je me mêle de vous demander pourquoi vous vous laissez pousser la barbe? Pourquoi vous l'avez rasée? Pourquoi vous faites-vous teindre les cheveux? Pourquoi ce nouveau tatouage sur l'épaule, ce piercing au nez ou cette affreuse cravate vert fluo? J'aime ou je n'aime pas, mais ce ne sont pas de mes affaires.

Vous croyez qu'elle porte un foulard en raison de sa religion? Ah oui? Vous lui avez demandé? Elle n'a pas à vous répondre. La religion est du domaine privé. Et quand bien même ce serait le cas, en quoi cela devrait-il me déranger?

Moi, je suis athée, mais si elle pratique une religion, je présume que c'est pour donner un sens à sa vie. Si c'est pour son bien, c'est aussi pour le mien: si elle est heureuse, je le suis aussi. Ma liberté et la vôtre s'arrêtent là où commence la sienne.

Supposons que ma collègue et moi travaillons pour l'État et servons le public. Ça vous pose problème? Pourquoi? Le public, ce sont des hommes, des femmes, des blancs, des colorés, des jeunes, des vieux, des sportifs, des chétifs, des voilées, des tatouées, des percées, des poilus, des tondus, des croyants, des mécréants, des gais, des hétéros, etc..

N'est-il pas sain et normal, dans une société évoluée et démocratique, de retrouver la même diversité parmi les représentants et servants de l'État, politiques comme fonctionnaires? N'est-ce pas la seule vraie garantie que l'état représente le public?

Certains s'opposent à ce qu'ils perçoivent comme une montée de l'intégrisme islamique. Ce n'est pas au Québec qu'il faut mener cette lutte, mais en suppoencourageant les musulmans, hommes et femmes, souvent voilées, qui le font, parfois au péril de leur vie, et avec un certain succès, à Tunis, au Caire, à Téhéran ou ailleurs.

Si nous pouvons prévenir les actions terroristes et combattre le crime organisé, les gangs de rue, les hommes d'affaires véreux et les politiciens corrompus, nous sommes sûrement en mesure de venir à bout d'imams hystériques, de rabbins déphasés ou de prédicateurs illuminés. Ne serait-il pas paradoxal que, en 2014, les Québécoises musulmanes perdent des droits quand leurs coreligionnaires viennent d'en gagner en Tunisie?

Compte tenu de ses compétences, avec ou sans voile, ma collègue n'aurait aucune difficulté à travailler pour le gouvernement fédéral du Canada, pour tous les autres gouvernements provinciaux, pour le gouvernement fédéral des États-Unis et pour tous les gouvernements d'États américains. Qu'avons-nous donc découvert, au Québec, que les autres n'ont pas vu et qui nous autorise à traiter de façon aussi grossière des Québécoises qui ne demandent qu'à vivre en paix, travailler, payer leurs impôts et élever leur famille?

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Notre gouvernement refuse de retirer spontanément le crucifix sous lequel nos lois sont votées; il ne parle pas d'interdire les prières avant la tenue des conseils municipaux ni ne remet en question le financement des écoles privées confessionnelles et les exemptions de taxes des institutions religieuses. Il semble trouver normal que députés et ministres prêtent serment sur la Bible et se satisfait que, selon l'ordre protocolaire des cérémonies du gouvernement du Québec, les cardinaux soient troisièmes en importance, juste après le lieutenant-gouverneur et la première ministre!

À en croire le gouvernement, tout cela affecterait bien moins l'apparence de neutralité de l'État que le voile que porte ma collègue...