Beaucoup de questions n'ont pas été posées à Jean Pascal à la suite de sa victoire contre Lucian Bute. Mais une de celles qui avaient probablement le moins de chance de figurer dans l'entrevue d'après-combat est celle-ci: «Jean, avec qui aimerais-tu avoir un rendez-vous galant?».

Cette scène a plutôt eu lieu après la victoire d'Eugenie Bouchard en quart de finale de l'Australian Open la semaine dernière. La journaliste Samantha Smith a cru bon d'interroger la nouvelle coqueluche du tennis féminin avec une question de potin sortie tout droit d'un épisode de Gossip Girl. C'est certain, personne n'a confondu la reporter de Channel 7 avec Bernard Derome ce soir-là.

Ce banal incident nous rappelle qu'encore en 2014, une championne n'est pas une femme champion. C'est une femme. Ou une fille. Et comme une fille, elle doit jouer aux poupées, avoir un intérêt pour le cocooning et se faire belle pour plaire aux garçons.

C'est pourquoi depuis un an et demi, on pose à Eugenie des questions qui portent sur l'agencement de ses vêtements pour un jour de match, le maquillage qu'elle préfère si elle doit suer, la personne avec qui elle aimerait avoir un rendez-vous galant, etc. Bref, elle est moins la fougueuse conquérante que la princesse dont l'élégance fait sa renommée.

Au même âge, on questionnait Rafael Nadal sur l'énergie qu'il déployait sur le court et sur la façon dont il abordait les matchs importants. On n'interviewe pas un champion sur des banalités, on veut savoir sa recette pour être un surhomme.

Mais ces questions «sportives» sont souvent réservées à la championne moins belle ou trop développée musculairement, celle qui ne répond pas exactement aux stéréotypes féminins de grâce et de délicatesse. «Sûrement une lesbienne», raisonnent immanquablement les sportifs de salon.

Le sport, le fast-food, la préhistoire

Cette relation vieux jeu que l'on entretient avec nos championnes se nourrit goulûment de ce qu'est le sport professionnel en Occident: du fast-food pour l'âme. Vite ingurgité, vite digéré. La satisfaction de l'estomac rempli et le besoin d'en manger encore dans l'heure qui suit, le remord de ne pas mieux se nourrir enterré par l'appel de la facilité, n'est-ce pas de cette manière charnelle et dénuée de raison que l'on consomme le sport-spectacle depuis notre divan?

Dans ce contexte, il ne faut pas s'étonner que le monde du sport ne soit pas le plus progressiste. Beaucoup de médias relaient des opinions peu réfléchies de commentateurs dont l'esprit est aussi ouvert qu'un match Canadiens-Devils du début des années 2000.

On ne compte plus le nombre d'interventions de fins analystes, toujours aussi versés dans la nuance, qui utilisent des expressions comme «C'tu une ligue de tutus?» et «On joue pas à' ringuette!» pour s'insurger contre les politiques - inspirées d'avancements scientifiques et médicaux - de diminution de la violence dans le sport.

Ces Homo neanderthalensis bien assumés, qui contribuent à garder le débat au plus bas niveau possible, alimentent ainsi une mentalité qui aurait dû s'éteindre en même temps que le droit de fumer dans les écoles et la lecture de manuels catholiques sur la bienséance féminine. C'est plus facile pour le mon'onc en nous de voir Eugenie en mannequin qui tient une raquette qu'en joueuse de tennis exceptionnelle.

De toute façon, c'est juste du tennis féminin. Personne ne regarde ça.

C'est la féminité d'Eugenie qui nous intéresse, pas son tennis.